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une très grande, quantité d’Arméniens, de Grecs, et fort peu de Turcs. Avant que Beïcos devînt un point de relâche pour nos bâtimens, sa population ne se composait que de pêcheurs. Grâce à la guerre, Beïcos était devenu presque un marché qui faisait concurrence à Thérapia. Bon nombre même d’habitans de cette dernière ville étaient venus s’y établir avec des produits de toute sorte dont ils trouvaient le placement parmi nos équipages. Le Bosphore est tellement profond en cet endroit, que les vaisseaux jettent l’ancre à une vingtaine de mètres du rivage. Ils menaceraient volontiers de leur beaupré les fenêtres des maisons. Beïcos est le plus beau mouillage qu’on puisse voir à cause de la grande largeur du Bosphore et du coude qu’il forme.

Le lendemain de notre arrivée à Beïcos, je prenais place dans un des bateaux à aube qui desservent la ligne du Bosphore. Ces bateaux sont divisés en deux catégories de places, comme nos vapeurs ; les premières sont recouvertes et entourées de vitrages qui imitent assez bien, pour le voyageur assis dans ces espèces de serres-chaudes, un intérieur de diligence. On y fume, on y rit, on y lit, on y cause, et on y étouffe absolument comme dans un café trop étroit encombré de consommateurs. Les dames n’y sont pas admises ; elles prennent rang après nous, et restent au dehors exposées aux intempéries de la saison. Ce jour-là, il pleuvait encore ; l’orage de la veille voulait avoir son lendemain, et les passagères restaient exposées à la pluie sans qu’aucun passager daignât s’en préoccuper. Ces vapeurs remontent le Bosphore avec une rapidité d’autant plus étonnante, qu’ils ont à lutter contre un courant ayant une vitesse de quatre nœuds. Nous mîmes moins de trente minutes à faire le trajet, et, très heureux de pouvoir respirer un air plus pur, je débarquai à Galata.

La pluie cessa de tomber. Soit que le mauvais temps entrât pour quelque chose dans mes dispositions contemplatives, soit réalité, ce que je n’hésite pas à croire, je trouvai que Constantinople ne répondait guère à ses brillantes apparences. Je visitai la ville en tous sens ; je ne vis que des maisons sales et délabrées, des rues tortueuses et pavées d’un caillou pointu qui chatouille désagréablement la pointe des pieds, des Turcs couverts de haillons allant et venant par ce temps pluvieux d’un pas aussi indolent que sous un soleil de 30 degrés.

Dois-je dire que le Grand-Bazar tant vanté, ce palais de l’industrie turque et arménienne, me fit l’effet d’une halle, et que Sainte-Sophie elle-même, malgré les beautés de son intérieur, n’eut pas le pouvoir de mettre fin à mes déceptions ? Après une bonne journée de marche, après avoir vu, en courant bien entendu, le tombeau