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frênes, qui se caressaient de leurs branchages. Plus nous avancions, plus le ravin rapprochait ses murailles ; nous nous décidâmes bientôt à nous éloigner de la rivière pour battre un terrain couvert d’une espèce de bruyère. Nos instincts de chasse se réveillaient. Nous nous engageâmes dans un labyrinthe inextricable de hautes herbes, d’arbustes, liés entre eux par des filamens de plantes grimpantes qui rendaient la marche difficile ; mais nous ne fûmes même pas récompensés de nos actives battues par le lever d’un maigre et chétif faisan ! Cette végétation désordonnée, sauvage, paraissait cependant promettre un riche butin ! Je me figure que les bois où vivait Diane la pudique n’étaient ni aussi beaux ni aussi touffus. Le fourré était devenu tellement serré qu’il fallut renoncer à y pénétrer davantage.

De cette partie de chasse, — qu’il eût fallu faire à quatre lieues de là, dans la forêt de Belgrade, pour revenir la gibecière garnie, — nous ne rapportâmes que de nombreuses écorchures aux jambes et aux mains, et une grande lassitude dans les jarrets, mais en revanche le souvenir d’une agréable promenade sur la terre d’Asie.

L’heure du départ va cependant sonner de nouveau. Ce cliquetis de chaînes effrayant, c’est le bruit de l’ancre qui dérape. Voici nos pistons qui fonctionnent. Bouchez-vous les oreilles, le tuyau de vapeur recommence à bourdonner, les ordres se croisent, l’équipage court de l’avant à l’arrière, le vacarme est au comble. La Dévastation tourne sur elle-même, car elle a cette qualité, que n’ont pas les autres bâtimens, de pivoter sans pour cela faire un pas de plus. Elle file droit maintenant ; en un clin d’œil, l’Albatros lui a passé ses lisières, et nous sommes en route pour la quatrième fois.

Si jamais vous entreprenez un long voyage en mer sur un beau navire ayant le tonnage et les dimensions d’une frégate, ne contemplez pas seulement le tableau sans cesse changeant du ciel et des flots : il en est un autre, au moins aussi intéressant, que je vous engage à ne point oublier, — je veux parler des fourneaux. Penchez-vous au-dessus du grillage en fer qui ferme l’ouverture de ce panneau, et surtout ne reculez pas devant l’air chaud, asphyxiant, qui vous fouette le visage. C’est un puits effrayant, n’est-ce pas ? si profond qu’on distinguerait l’intérieur avec peine, s’il n’était éclairé que par le jour qui y pénètre On descend par les étroites échelles de fer que vous voyez : elles sont très-dangereuses pour les pieds qui n’ont point contracté l’habitude de ces échelons glissans. Tout est rouge au fond de ce puits, d’un rouge éclatant, qui fait involontairement baisser les paupières. En ce moment, les fourneaux sont ouverts ; plusieurs hommes s’agitent devant le brasier ardent ; munis de pelles, ils engouffrent la houille par tonneaux dans ces gueules béantes qui ne se rassasient jamais : ces hommes sont les ouvriers chauffeurs.