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naturel, plus touchant que son Benedicite, et je ne crois pas qu’on ait jamais mieux peint. Dans un autre ordre de sujets, Greuze donna une forme un peu commune, mais poignante, aux idées sentimentales et mélodramatiques qui régnaient à la fin du XVIIIe siècle. Les sentimens pathétiques et outrés, mais sincères, de l’auteur du Père de famille ne pouvaient trouver un interprète plus exact, et on s’explique, en voyant l’Accordée de village et la Malédiction, l’amitié et l’estime du philosophe pour l’artiste.

Cependant l’art, qui ne réfléchit les idées d’un temps que lorsqu’elles ont pénétré les masses, l’art, qui ne prophétise pas, mais qui constate, ne porte encore aucune trace sérieuse de la révolution qui s’opérait dans les choses et dans les esprits. Et il en a été de même à toutes les époques. Le développement des lettres a toujours précédé et dirigé celui des arts du dessin. Homère a devancé Phidias : Dante et Pétrarque avaient créé les ouvrages les plus parfaits de la littérature italienne avant que Léonard de Vinci et Michel Ange eussent pu s’emparer, pour les traduire aux yeux, des idées et des sentimens nouveaux créés par ces grands esprits. Les choses se passent de même au XVIIIe siècle. La révolution était virtuellement accomplie, et la peinture se traînait encore, sans changement très notable, dans les chemins depuis longtemps parcourus. Montesquieu et Rousseau avaient écrit, que nous en étions encore à Greuze et à Chardin.

David fut le peintre de la révolution française, dont il reflète les préoccupations, les principes absolus, et aussi les travers. Doué de moins d’intelligence que de talent, il comprit mal l’antiquité, qu’il adorait. Il opéra par ses compositions emphatiques, froides et savantes, par son dessin précis, par le soin donné à la forme, qu’il mit toujours au service des idées, une réaction favorable contre les mièvreries de l’époque précédente, et dont nous devons lui savoir gré. On put croire un moment que son école allait se rapprocher de la vérité, et, en gardant ce qu’elle avait d’excellent, se débarrasser de son bagage de convention. Notre pejnture eut presque un Corrège dans Prudhon, et Gros hésita à plusieurs reprises entre les enseignemens de son maître et les conseils de son propre génie ; mais le caractère et la fermeté qui font les chefs d’école lui manquaient, et les élèves de David continuèrent à régner jusqu’à la fin de la restauration, en développant froidement des principes dont ils n’avaient gardé que la lettre.

Pendant l’empire, le joug des événemens pesa sur les arts, et entre de tels triomphes et de tels revers il y eut peu de place pour la peinture grande ou petite. Après la chute du régime impérial, l’esprit public se réveilla : les champs de bataille, où se dénouaient