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son infériorité par la vérité des détails, l’agrément de la couleur, la justesse de la pantomime, l’arrangement, en un mot par l’excellence de ce qui dépend avant tout de l’observation et de l’exécution. Un peintre de genre a de l’esprit, du savoir-faire, du talent. Il étonne, intéresse, séduit. Il vend très cher ses tableaux, qui répondent au goût médiocre, aux préoccupations habituelles de la foule ; il n’émeut pas, il n’est pour rien dans ces nombreuses et admirables créations du génie qui de siècle en siècle peuplent l’imagination de ceux qui savent et qui pensent. À ce point de vue, M. Decamps est plus qu’un peintre de genre. Il est à la fois sur le terrain le plus réel et dans l’idéal, et il importait de faire cette observation, qui s’applique du plus au moins à tous ses ouvrages, avant d’aller plus loin.

Dans le Bazar turc et dans le Marché de Marseille, les scènes sont importantes, compliquées d’incidens, les personnages divers de races, de costumes, d’états. Le sujet du tableau, c’est la foule ; son unité est dans la justesse et l’homogénéité de l’effet général. Dans le Marché de Marseille, on entend toutes ces femmes qui vendent et achètent se disputer, médire et bavarder. Les gestes et les pantomimes sont bien observés et rendus avec malice et finesse. La lumière est distribuée avec beaucoup de discernement. C’est une composition d’ordre moyen, qui n’a ni la richesse ni le ressort qui se trouvent dans d’autres ouvrages de M. Decamps, d’ailleurs moins importans. Le Bazar turc au contraire est l’un de ses meilleurs tableaux de genre. Dans le fond, au bout d’une rue étroite, on aperçoit le ciel et la mer. Le soleil allègre du matin se glisse entre les maisons et à travers les nattes et les toiles. Il dessine sur les murs, sur les groupes, sur les marchandises étalées, ses capricieuses et éclatantes fantaisies. Les ombres elles-mêmes sont transparentes comme des voiles légers. Tous les personnages de races diverses, Arméniens, Turcs, Grecs des îles, Maltais, Juifs, ont leurs physionomies, leurs costumes, leurs gestes caractéristiques. On les a vus, on les entend discuter, marchander, crier dans toutes les langues et sur tous les tons. Cette foule bien vivante se meut dans une atmosphère gaie et limpide. La couleur est franche, vive, sans tons criards, et l’impression que produit cette composition tout anecdotique a beaucoup de force et d’unité.

Dans ses tableaux d’enfans, l’École juive, les Enfans jouant avec une tortue, la Sortie de l’École, le talent de M. Decamps se montre sous un aspect nouveau. La figure humaine est étudiée de plus près ; la composition, réduite à quelques personnages principaux, se meut dans un clair-obscur habile comme toujours, mais plus léger et plus discret : elle ne tire pas seulement sa valeur de l’effet général et des groupes de personnages perdus dans la demi-teinte ; des physionomies