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arrêtées, expressives, lui donnent une signification nette et un accent précis. Dans les Enfans jouant avec une tortue[1], le sujet, simple en lui-même, est traité avec simplicité. Le paysage, large et bien composé, soutient et fait valoir la scène principale. À gauche est un puits recouvert d’une construction le long de laquelle grimpe une vigne ; à droite, quelques fabriques et des arbres pleins de légèreté et de distinction ; dans le fond, les collines d’Anatolie qui s’étagent sur un ciel du soir. L’un des enfans est appuyé sur le rebord de l’auge du puits ; le second est accoudé sur la pierre qui la supporte. Il ne prend aucune part à ce qui se passe. Sa tête, penchée sur sa main, a bien l’expression rêveuse et absorbée des enfans qui ne pensent à rien. Le troisième, assis sur la même pierre, regarde avec la plus sérieuse attention la tortue qui s’avance péniblement vers son camarade, appuyé des genoux et des coudes sur le sol. Comme peinture, ce charmant ouvrage n’est pas parfait ; mais la composition est si ingénieuse, que la lithographie a pu lui conserver toute sa valeur.

Dans l’École juive, les enfans s’ennuient et voudraient bien s’en aller. Le pédagogue est sévère, vieux, et plus laid que de raison. Je soupçonne M. Decamps d’avoir pensé en le faisant à ce magister de village qu’il détestait dans son enfance, et qui « a vu plus souvent ses talons que son visage. » Mais quelle variété, quelle vivacité d’expressions et de mouvemens ! Comme tous ces petits bonhommes ont déjà leurs caractères et leurs passions ! La Sortie de l’École est, dans cet ordre de sujets, le chef-d’œuvre de M. Decamps. La composition, plus spontanée que d’ordinaire, est excellente. Quant à la couleur, elle est vive, gaie et chaude, sans dureté, d’une harmonie parfaite, merveilleuse en un mot. Je ne crois pas qu’on puisse rien reprocher à ce charmant ouvrage. Le fond du tableau est occupé presqu’en entier par un mur de maison. La porte est à demi ouverte, et on aperçoit le maître d’école qui a suivi les enfans jusqu’au seuil. L’essaim joyeux se disperse dans tous les sens. Les gamins de Turquie ressemblent aux gamins de France ; ils se poussent, se querellent, se culbutent. On entend leurs cris et leurs éclats de rire. Ils ont bien toute la gaieté, l’espièglerie, le naturel de leur âge, et l’expansion de vie et de mouvement qui succède à l’immobilité forcée de la classe. Les moindres nuances de ces physionomies mobiles sont saisies et fixées avec un bonheur et une vérité qu’il n’est pas possible de dépasser. M. Decamps ne voit pas l’homme en beau. Il le représente volontiers pauvre, déguenillé, pervers, rongé de vermine, et de misère, luttant avec l’adversité. Il préfère les

  1. Cet ouvrage a été répété avec des modifications. Le tableau dont je parle appartient à M. Cuvilier-Fleury ; l’autre fait partie de la galerie de M. Paturle.