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pourra les sauver. Le paysage, très largement dessiné, a un aspect sinistre qui convient à cette scène de destruction : c’est une campagne aride, déserte, rocheuse. Des collines âpres et pelées s’enfoncent à perte de vue dans un horizon sans limites. Le ciel est sombre, coupé, parallèlement aux terrains, de grands nuages noirs illuminés de lueurs orageuses. Cette composition a beaucoup occupé M. Decamps. Il en a traité à part, dans des dessins très achevés, plusieurs des épisodes les plus importans. Il est certainement regrettable qu’elle n’ait jamais été exécutée dans de grandes dimensions, d’autant plus que la grande esquisse qu’on en possède a souffert un peu du temps. Les ombres, trop marquées à l’origine, ont noirci, de sorte que l’aspect général de ce dramatique ouvrage est sombre et uniforme, et qu’il a perdu dans quelques parties son harmonie primitive.

Mais c’est à l’Orient que M. Decamps revient toujours. Il lui doit le pittoresque, la couleur, toute une veine riche et nouvelle, un genre qu’il a créé, une manière qui lui appartient ; il lui doit aussi quelques grandes inspirations qui complètent son œuvre. J’ai souvent eu l’occasion de dire que M. Decamps est plus qu’un peintre habile et un homme d’esprit. Sa grande et rêveuse imagination a trouvé dans les scènes pastorales de l’Ancien Testament les sujets de quelques-unes de ses compositions les plus belles et les plus émouvantes. La connaissance qu’il a du pays, de ses mœurs, de ses costumes, lui a permis de les traiter d’une manière nouvelle, avec beaucoup d’accent et de réalité. Il n’a vu ni Rebecca, ni Joseph vendu par ses frères, à travers la tradition classique. Il a cherché ses inspirations dans les récits bibliques et dans le pays où se sont passées ces scènes si grandes, si simples, si touchantes, et, chose singulière, s’il a trouvé en puisant aux sources mêmes quelques traits de vérité, négligés par l’école du XVIe siècle et par Poussin, ses observations directes n’ont fait en général que confirmer et justifier de la manière la plus complète les œuvres des maîtres qui l’ont précédé.

La composition de Joseph vendu par ses frères étonne au premier abord. Le devant du tableau, occupé par des mouvemens de terrain, quelques rochers, une source où une femme puise de l’eau, n’a que peu de rapport avec le sujet principal. Peint dans des tons sombres, ce premier plan sert à faire valoir les fonds ; mais cette raison ne me paraît pas suffisante pour le motiver, et on pourrait le retrancher sans dénaturer gravement la composition. Le sujet véritable est relégué au second plan et j’avoue que j’ai quelque peine à m’expliquer l’utilité de cette manière de composer qu’on retrouve dans la plupart des grands ouvrages de M. Decamps. On se demande si on a sous les yeux un paysage ou un tableau de figures ; l’attention est partagée, et l’impression n’a pas d’unité. Il faut là comme en