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de M. Decamps les traits caractéristiques de son talent, la verve, la fantaisie, l’expression vraie, fortement accusée, de sentimens très divers, depuis l’esprit et la raillerie jusqu’au pathétique le plus émouvant. Tout est coordonné, logique, nécessaire dans ces compositions si larges et si variées, où le plus imperturbable bon sens donne une extraordinaire réalité à des conceptions presque chimériques. Il suffit de rappeler en passant ces ciels magiques, un peu alourdis par l’exécution, où semblent se réfléchir le sens et l’émotion des scènes qui se passent sur la terre. M. Decamps dessine un nuage et compose un ciel avec autant de soin qu’une figure, et personne n’a peut-être compris aussi bien que lui la signification et la beauté de ces formes légères, et à quel degré elles peuvent servir à compléter le sens d’une composition. La figure de Samson est une des plus originales et des meilleures de son œuvre. Elle revient huit fois dans ces cartons, toujours identique, toujours animée de passions et de sentimens différens. Dans le Samson déchirant un lion, c’est la force brutale d’une jeunesse héroïque. Dans le Combat contre les Philistins, le jeune homme, armé de sa mâchoire d’âne, bondissant au milieu de ses ennemis, semble animé d’une vigueur surhumaine. L’incendie rappelle trop la manière de Poussin, mais la figure de Samson, assis au premier plan sur un bout de rocher, tenant son pied gauche de sa main droite, suivant l’usage oriental, et contemplant d’un air railleur le succès de son extravagante invention, est d’une beauté et d’une puissance extraordinaires. Cependant c’est surtout dans le Samson tournant la meule que M. Decamps me paraît avoir résumé et concentré ses plus fortes et ses plus hautes qualités. La scène se passe entre trois personnages : Samson, l’esclave armé d’un bâton, chargé de hâter son travail, et un rat qui se chauffe au soleil. Le jour entre par la porte grande ouverte. Cet homme attaché à sa meule comme un bœuf, courbé sur son madrier, enchaîné, aveugle, bafoué, esclave d’un esclave, cet homme qui a livré son secret à la femme « qui l’endormait sur ses genoux et faisait reposer sa tête sur son sein, » pleure de ses yeux crevés d’inutiles larmes de rage. Dans son impuissance présente, il songe à sa vigueur passée, qu’il ne retrouvera qu’un instant, par un effort suprême, pour la vengeance et pour la destruction.

Le Josué arrêtant le soleil et le Christ au Prétoire montrent avec plus d’éclat encore peut-être les aptitudes de M. Decamps pour la peinture de style. Le Josué est une très vaste composition, inachevée malheureusement, et qui, ayant été vendue, ne sera probablement pas terminée. On en possède un grand carton qui la complète et permet de la juger. La nuit qui tombe a suspendu la bataille et arrêté pour un moment le carnage. La mêlée a été terrible ;