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l’armée des sept rois amorrhéens est battue, mais elle n’est pas détruite. Josué, les mains étendues, se tourne vers le soleil, qui descend derrière les murs de Gabaon. Toute la scène est éclairée d’une lumière effrayante, sinistre, dans laquelle se meuvent en tous sens des groupes de combattans. Les trompettes qui se trouvent en arrière de Josué, et qui rallient les soldats par un dernier effort, sont du plus grand style. À gauche, sur le devant, un jeune homme qui lève les bras vers le soleil est admirable de mouvement et de tournure. Cette lutte a quelque chose de gigantesque, d’acharné, qui ne rappelle pas les batailles bien ordonnées de M. Vernet. Il faut y chercher ce que M. Decamps a voulu y mettre, — le mouvement, l’énergie, la couleur, la vie en un mot.

Le Christ au Prétoire est, je crois, le plus complet des grands ouvrages de M. Decamps. Il a voulu aborder une fois cette figure presque impossible du Christ, et il a choisi avec discernement la scène qui permettait le mieux le développement de ses qualités énergiques. Ce n’est pas le Christ miséricordieux qui relève Madeleine, ni le Christ accablé et succombant de la montagne des Oliviers, ni le Christ mystique de la Cène : c’est le juste insulté, raillé, maltraité par les pharisiens et par les soldats. M. Decamps appartient à cette famille de peintres dont Rembrandt est le chef, qui cherchent moins la pureté des lignes, la beauté des formes, l’expression des traits, que la vérité, la force de la pantomime et du geste, et qui trouvent dans le maniement habile du clair-obscur des effets pathétiques qui parlent puissamment à l’imagination. C’est à ce point de vue que le Christ au Prétoire est une œuvre excellente, qui restera comme une des meilleures de notre temps.

Les compositions nombreuses et de toute sorte qui ont rempli la plus grande partie de la vie de M. Decamps ne déparent pas son œuvre, mais celles-ci le couronnent : elles y mettent un sceau de grandeur et lui donnent une importance qui lui manquerait, si elles n’existaient pas. Rien ne vaut que par la pensée. Ici la forme ne sert plus qu’à la montrer. De maîtresse qu’elle était, elle est devenue servante. C’est son lot ; il faut le lui laisser. Je comparerais volontiers celles des compositions de M. Decamps où la forme domine à ces merveilleuses et fantastiques ébauches de la création primitive, où la matière est presque tout et qu’une vie obscure anime à peine : plus elles sont près de la nature inerte, plus leurs couleurs ont de variété, d’éclat, et plusieurs formes sont inattendues et bizarres ; mais l’âme n’y palpite pas. Dans ceux des ouvrages de M. Decamps dont j’ai parlé en dernier lieu, la préoccupation de la forme a fait place à d’autres, à de meilleures préoccupations. Les créations de l’artiste se sont épurées : elles nous transportent dans une région