Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/695

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vivent que par lui. Ces entreprises, il faut, pour spéculer sur leurs titres, les étudier, les connaître, les comparer : on se prend alors de goût pour cette industrie, qui d’abord n’était que matière à jeu et à pari, on y participe soi-même, et de capitaliste on devient industriel. Cette marche n’est-elle point logique, inévitable, et serait-il possible aujourd’hui de séparer ces deux caractères l’un de l’autre ? Aussi peut-on dire que la spéculation est de nos jours bien autrement sérieuse et intelligente qu’il y a vingt ans. Avec ce double caractère, elle a perdu beaucoup de ses dangers, et, malgré quelques catastrophes particulières, dont le public s’est ému à juste titre, on reconnaît, et c’est là une assertion qui n’étonnera aucun de ceux qui suivent de près la marche des affaires de bourse, que les sinistres, comme on le dit, sont devenus fort rares sur cette mer si orageuse. .Depuis plusieurs années, la compagnie des agens de change n’a pas vu faillir un seul de ses membres, et les déconfitures de cliens ; les disparitions de courtiers n’égalent ni en nombre ni en importance celles dont la période qui a suivi 1830 avait présenté le lamentable spectacle.

Pourquoi donc la spéculation s’est-elle attiré de nos jours de si dures et quelquefois de si justes réprimandes ? Pourquoi, malgré les limités encore étroites de ses progrès et la supériorité des élémens qui la constituent, a-t-on pu dire qu’elle envahissait tout, que la Bourse attirait à elle les forces vives, l’activité entière du pays, que la passion du jeu avait corrompu tous les cœurs, perverti tous les esprits, et que, pour la conquête d’un lucre instantané et illicite, de nombreuses classes de citoyens délaissaient les profits mesurés du travail honnête, dédaignaient l’agriculture et l’industrie ?

Une partie de ces observations et de ces reproches est fondée sur ce fait, que la spéculation s’est étendue beaucoup plus encore qu’elle ne s’est agrandie. Quand tout se démocratise, la spéculation a dû devenir, comme la rente elle-même, démocratique ; réservée autrefois à quelques capitalistes privilégiés, à quelques stratégistes de bourse, elle est aujourd’hui, non l’affaire exclusive, mais une des préoccupations de quiconque participe à la fortune mobilière du pays, et si l’importance de la spéculation ne s’est accrue que de 1 à 2, le nombre des spéculateurs s’est au moins élevé de 1 à 1,000 : d’où il est résulté par contre que, la part de chacun d’entre eux se trouvant bien plus faible, les risques plus répartis ont été moindres. Quant à la diminution du travail sérieux au profit du mouvement fébrile de la spéculation, quant à la déperdition des ressources vitales du pays dans les agitations stériles du jeu, les chiffres et les faits établiront au juste ce qu’il en faut croire. Pour le moment, il nous a suffi de circonscrire dans ses vraies limites ce qu’on appelle