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sans doute coupable selon le droit, mais il est bien plus coupable encore au point de vue de l’intérêt yankee, parce que ses tentatives de vive force retardent ou contrarient l’expansion nécessaire et inévitable de la puissance anglo-américaine dans tout le nord du Nouveau-Monde. Avec la moitié des hommes que Walker a fait périr dans ses entreprises, une forte colonisation pouvait être établie dans l’Amérique centrale, et le pays eût été bien plus sûrement occupé sans que les nationaux eussent à se plaindre et sans que les gouvernemens étrangers eussent à intervenir. Au fond, comme on voit, le but est le même, si les procédés sont différens. Le plus clair est que Walker n’est qu’un turbulent désastreux qui évente tous les projets sans les conduire à bonne fin. Ce dernier message présidentiel est évidemment l’indice de la situation compliquée où s’est placé M. Buchanan. Comme chef du pouvoir, M. Buchanan ne peut se soustraire à l’autorité du droit public, il ne peut méconnaître les devoirs qu’imposent les lois de neutralité ; mais en même temps il donne une satisfaction indirecte aux envahisseurs par le désaveu du commodore Paulding, et il flatte les passions de son parti en leur ouvrant une issue qu’il appelle diplomatiquement la colonisation ; il fait mieux, il donne une consécration officielle à cette pensée dès longtemps connue de l’extension nécessaire de la race anglo-saxonne dans toute la partie septentrionale du nouveau continent.

L’Amérique centrale ne rend malheureusement que trop probable par ses divisions l’accomplissement de desseins si nettement avoués, et le Mexique, qui fait également partie de ces régions si ardemment convoitées, ne peut désormais opposer qu’une problématique résistance à l’ambition yankee. Le Mexique n’en est plus à dénombrer ses révolutions ; il en compte une de plus aujourd’hui. Pour la république mexicaine, nous le disions récemment, une constitution votée est une constitution bien près d’être suspendue, et une constitution suspendue est bientôt supprimée. C’est ce qui vient d’arriver. Il y a quelque temps, à l’ouverture d’un nouveau congrès, le président, M. Comonfort, s’était fait décerner des pouvoirs extraordinaires. Lever des troupes, contracter des emprunts, suspendre les garanties individuelles, il pouvait tout, hormis aliéner une portion quelconque du territoire national. Cela n’a point suffi, à ce qu’il paraît, et le signal du nouveau changement a été donné à Tacubaya, résidence d’été des présidens mexicains, par la garnison elle-même, ayant à sa tête le général Zuloaga. Le plan de Tacubaya va prendre place dans l’histoire du Mexique à côté de tant d’autres plans. La dernière constitution, qui ne date que de 1857, et qui n’a jamais été appliquée au surplus, est purement et simplement abolie. Un nouveau congrès se réunira dans trois mois, sur la convocation du pouvoir exécutif, pour faire une autre loi fondamentale qui devra être soumise à la volonté nationale, et qui ne tardera pas sans doute à être également abrogée. D’ici là, tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains du président. Voilà donc M. Ignacio Comonfort dictateur, comme l’a été Santa-Anna ! Mais dans la situation actuelle du Mexique, au milieu des révoltes des Indiens, des soulèvemens de toute sorte, des divisions probables de l’armée, de la dissolution administrative et d’une indescriptible pénurie financière, que va-t-il faire de la dictature ? Il n’a montré jusqu’ici qu’une capacité douteuse. S’il veut gouverner dans le sens du parti démocratique, qui l’a porté au pouvoir,