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le poste du palais des représentans entrait dans la salle des séances et signifiait aux députés l’ordre de se retirer, parce que l’assemblée était dissoute. Vivement interpellé, l’officier répondait qu’il obéissait aux ordres de son chef, et, comme ses paroles étaient accompagnées d’une menace de l’emploi de la force, les députés se hâtaient de se disperser. Que voulait dire cette brutale expulsion ? Qui avait pu prescrire un tel attentat ? Aussitôt les principaux membres de la convention s’adressaient au conseil des ministres et le sommaient de s’expliquer. Les ministres, feignant la surprise peut-être plus qu’ils ne la ressentaient, se rejetaient sur un accès d’aliénation mentale dont aurait été subitement saisi le chef qui avait donné de tels ordres, et ils ajoutaient au surplus que cet officier était mis en état d’arrestation. Les membres du cabinet désavouaient à demi la tentative ; ils ne la désavouaient qu’à demi, disons-nous, car le lendemain on apprenait que l’officier représenté comme prisonnier jouissait d’une pleine liberté, et des militaires parcouraient la ville en proférant des menaces, en déclarant que l’assemblée dissoute la veille ne se réunirait plus. La convention s’est tenue pour suffisamment avertie, elle n’a plus cherché à se réunir, elle s’est bornée à protester. La population de Lima est restée spectatrice impassible et indifférente de ces faits. La convention péruvienne, du reste, avait singulièrement contribué à sa propre ruine en se discréditant dans l’opinion. L’an dernier, dans un moment d’épidémie, elle se hâtait d’abandonner la capitale pour se réfugier en un lieu plus salubre, à l’abri de la contagion. Peu de temps avant sa dissolution, elle ne trouvait rien de mieux à faire que de voter une augmentation du traitement de ses propres membres. Elle est morte comme elle a vécu, sans prestige et sans pouvoir. Seulement que va-t-il arriver maintenant ? Que les auteurs de la dissolution de l’assemblée, s’ils n’ont obéi à des instructions formelles, aient cru répondre aux vues secrètes du général Castilla, cela n’est guère douteux ; mais Castilla, il nous semble, se trouve dans une situation assez embarrassante : s’il reste devant Arequipa, il ne peut guère exercer cette dictature, née un peu du hasard, qui flotte entre toutes les mains, et que d’autres essaieront peut-être de lui disputer ; s’il revient à Lima, l’insurrection peut trouver dans cette retraite un surcroît de force. Ce n’est peut-être pas un dénoûment, ce n’est que le commencement de nouveaux désordres. Et si vous regardez un peu plus loin, une révolution vient également de s’accomplir dans la Bolivie. Le président, le général Cordova, a été renversé. La population et l’armée se sont réunies pour le rejeter hors du pouvoir et du pays. Le chef de l’insurrection, aujourd’hui président, est le docteur Linarès, qui a longtemps conspiré et renouvelé ses tentatives contre le général Belzu, prédécesseur de Cordova. Telle est la vie, l’étrange vie de ces contrées. Bienheureuses les républiques américaines où survit la paix, ne fût-elle qu’une trêve ! ch. de mazade.