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REVUE MUSICALE.


Nous n’avons rien de bien important à signaler parmi les œuvres nouvelles de l’art musical. Une représentation extraordinaire, donnée le 14 janvier à l’Opéra pour le bénéfice d’un virtuose obscur, a été le signal d’un horrible et odieux attentat. Dieu soit loué, ces passions sauvages, qu’on pouvait croire disparues à tout jamais de la surface des nations policées, n’ont rien de commun avec l’art qui suscite les plus nobles sentimens du cœur humain. La fable antique, dans ses fictions profondes, qui contiennent toute une psychologie, nous représente Orphée domptant les bêtes féroces aux accens de sa lyre, pénétrant dans l’antre ténébreux du génie du mal et adoucissant ces cœurs que les prières des mortels n’ont jamais attendris :

Et caligantem nigra formidine lucum
Ingressus, manesque adiit, regemque tremendum,
Nesciaque humains precibus mansucscere corda.


Détournons les yeux de ces abominations qui soulèvent la conscience universelle, et qui n’ont jamais produit, quoi qu’en disent les politiques étroits de l’école de Machiavel, que des désastres et des réactions qui perpétuent les discordes civiles.

Le Théâtre-Italien est toujours dans une situation des plus difficiles. Les débuts s’y succèdent sans relâche. Tous les pays de l’Europe fournissent à cette scène, autrefois privilégiée, des virtuoses de contrebande qui, ne sachant à quel dieu se vouer, viennent se donner en spectacle à Paris, où ils s’assurent quelque plume complaisante qui leur décerne un triomphe éphémère, en sorte que Rome n’est plus dans Rome, et que le Théâtre-Italien de Paris est devenu une espèce de caravansérail où l’on chante toutes les langues, excepté celle de Cimarosa et de Rossini. Cependant on a repris, il y a quelques semaines, à ce théâtre qui a été pendant un demi-siècle le premier du monde, le délicieux chef-d’œuvre de l’Italiana in Algieri. Cela nous reporte à l’année 1813, où Rossini, âgé de vingt et un ans, après deux ou trois délicieux préludes, parmi lesquels se trouve l’Inganno fortwnato, composait à Venise Tancredi pour le théâtre de la Fenice et l’Italiana in Algieri pour celui de San-Benedetto, qui n’existe plus. Heureux temps que celui où le génie dans sa fleur s’épanouit sans efforts, rit et chante comme un enfant divin qui n’a aucun souci des troubles de la terre ! Voilà quels sont les vrais miracles de l’art, non pas de reproduire les tristes vicissitudes de la vie, mais d’élever l’esprit et le cœur à ce printemps éternel dont nous avons un pressentiment qui ne peut faillir. Pendant que l’Italie voyait s’accomplir les grands événemens politiques de 1813, Rossini faisait rire les Vénitiens de ce rire bienheureux que ne connaissent pas les autres peuples de l’Europe. Stendhal a très bien, apprécié ce côté délicat du génie des Vénitiens et de la musique de l’Italiana in Algieri. « Quand Rossini, dit-il, écrivait l’Italiana in Algieri, il était dans la fleur du génie et de la jeunesse ; il ne craignait