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qu’on jouera toujours les sonates ou fugues de Bach, Haydn, Mozart, Beethoven, Weber ; Hummel, Chopin, et tanti altri !

En s’attaquant à la prose hardie et si fortement colorée de Molière dans le Médecin malgré lui, M. Gounod s’est mis dans l’alternative ou de faire un chef-d’œuvre qui absorbât et fît oublier le texte original, ou bien d’établir une lutte entre l’esprit de Molière et l’esprit du compositeur, obligé de s’exprimer dans une langue où l’esprit des mots et les sous-entendus n’existent pas ; M. Gounod n’aurait pas été plus téméraire, si, obligé d’exprimer ses idées en vers alexandrins, il eût accepté une discussion avec un homme de génie qui aurait parlé librement en prose. La musique, étant surtout puissante par son coloris, ne supporte pas à côté d’elle un texte qui, avec la précision de l’Idée, que la musique ne peut avoir aurait encore la qualité qu’il appartient à l’art musical de donner à la parole. Il n’est donc pas vrai, comme le croient les gens du monde et les littérateurs, que de beaux vers puissent être d’un plus grand secours à l’inspiration du compositeur et à l’effet général que des rimes ou de la prose ordinaires, contenant l’expression d’un sentiment, d’un caractère ou d’une situation. Polyeucte, Athalie ou Tartufe, fussent-ils écrits pour les besoins de la musique moderne, ne vaudraient pas pour un compositeur dramatique un bon scénario de M. Scribe. Il est élémentaire de dire que deux effets qui se disputent l’attention de l’auditeur ne concourent pas à un bon effet général. Il y a un de ces élément qui doit être subordonné à l’autre, et dans un drame lyrique c’est à la parole d’obéir à la musique. Nous pouvons affirmer tout d’abord que M. Gounod n’a pas réussi à faire du Médecin malgré lui ce que Rossini a fait du Barbier de Séville, et Mozart du Mariage de Figaro, c’est-à-dire qu’il n’a pu vaincre le redoutable adversaire qu’il s’était imprudemment donné pour appui. Voyons alors quel est le vrai mérite du travail distingué de M. Gounod.

L’ouverture, qui débute par une phrase confiée aux violons, où l’auteur a ingénieusement imité la manière de Lulli, contemporain et collaborateur de Molière, devient tout à coup une sorte de fragment de symphonie d’un travail délicat, mais qui ne renferme pas une idée assez saillante dont on puisse saisir le caractère et apprécier le développement. Cette ouverture, qui ne dit rien à l’Imagination, finit comme elle avait commencé, par la phrase empruntée au style de Lulli. Le duo qui s’engage entre Martine et Sganarelle dès la première scène, car les arrangeurs anonymes n’ont fait que mettre des rimes à la prose de Molière en lui conservant d’ailleurs sa couleur et sa propriété, ce duo n’est qu’une scène dialoguée fort insignifiante. L’air que chante Martine immédiatement après les coups de bâton reçus et pardonnes est une spirituelle imitation de la vieille musique française, particulièrement de celle de Monsigny dans son Déserteur. Ce qui est tout à fait piquant, ce sont les couplets de Sganarelle :

Qu’ils sont doux,
Bouteille jolie,
Qu’ils sont doux,
Vos petits glouglous !


Dans ce genre d’imitation des phénomènes matériels, qui produit sur le public