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croient de leur devoir d’appeler l’attention de MM. les amiraux sur les dangers auxquels la vie et la propriété de leurs nationaux seraient exposées par suite d’un bombardement. Les soussignés se permettent de rappeler à leurs excellences que la ville d’Odessa renferme une foule de familles étrangères sujettes de leurs souverains, et que c’est à elles qu’appartient la plus grande partie des biens mobiliers et immobiliers de cette ville. Ils osent donc espérer que leurs excellences épargneront à la ville les tristes conséquences d’un bombardement. »

Malgré la déclaration des consuls, Odessa n’eût pas échappé à ces tristes conséquences, si la guerre avait nécessité un nouveau bombardement ; mais la cité marchande devait en être quitte pour une panique, ou, d’après l’expression des matelots, pour un « petit coup de baisse à la bourse. » Ce n’était point pour elle que nous étions venus, et, sans les vents qui régnaient, nous serions allés directement au but réel de l’expédition. Pendant plusieurs jours, ces vents nous firent rouler et tanguer alternativement. Sitôt qu’ils cessaient, la brume tombait si serrée, que c’est à peine si les bâtimens se distinguaient entre eux. Enfin le 14 octobre, le temps paraissant s’améliorer, l’escadre leva l’ancre de nouveau pour aller la jeter, menaçante cette fois, devant Kinburn.

Ai-je bien nommé cette forteresse ? Faut-il dire Kinburn, ou Kilbourn, ou bien encore Kil-Bouroun ? Kil-Bouroun est la désignation turque donnée à la presqu’île où s’élève ce fort jusqu’à l’époque (1774) où elle cessa de faire partie, avec Otchakof, de l’empire ottoman. Depuis, ses conquérans l’appelèrent Kilbourn, et les Anglais, changeant l’orthographe de ce nom, n’écrivirent plus sur leurs cartes que Kinburn. Cette dernière désignation ayant prévalu, nous l’adopterons.

Il ne faudrait pas trop s’étonner devoir deux escadres considérables se réunir devant une forteresse d’apparence assez chétive, et qui ne semblait guère mériter l’honneur d’une attaque aussi sérieuse. En réalité, le fort et la forteresse de Kinburn étaient non-seulement importans et bien armés, mais encore ils avaient la certitude de rester hors des atteintes des vaisseaux et des frégates, que leur tirant d’eau obligeait de mouiller trop loin pour que leur feu pût produire quelque effet. Quant aux dix mille hommes de troupes, ils ne pouvaient être à craindre pour l’ennemi qu’autant qu’une brèche praticable faite par les flottes leur eût permis de donner l’assaut. Puis il était nécessaire de détacher des bâtimens pour garder le liman du Dniéper et empêcher la place assiégée de recevoir des secours.

Mouillées à environ deux mille cinq cents mètres de la presqu’île,