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fascines. Le travail de ce dernier est remarquable. Il compte environ une vingtaine d’embrasures ; toutes ne sont pas armées. Au centre s’élèvent le traditionnel four à boulets rouges, une poudrière et une espèce de corps de garde ou réduit fortement blindé, construit, aussi en bois blanc. Ces deux forts n’existeraient plus sans doute, si les Russes ne les avaient promptement abandonnés.

En définitive, cette journée du 17 octobre, célébrée par les ordres du jour de l’amiral Bruat et du maréchal Pélissier, avait coûté aux Russes quarante-cinq hommes tués et cent trente blessés. Les alliés n’avaient eu à regretter que la perte des deux marins de la Dévastation, et environ vingt-cinq hommes blessés plus ou moins grièvement, tant à bord de ce dernier bâtiment qu’à bord des autres batteries flottantes.

Le 19 octobre, les prisonniers russes étaient dirigés sur Kamiesh. Par un rapprochement bizarre, quarante-cinq ans plus tôt, — le 19 octobre 1813, lendemain de la néfaste bataille de Leipzig, — le général Kokonovich, notre prisonnier d’aujourd’hui, entrait en vainqueur sur le territoire français !


III. — L’OCCUPATION. — LA PRESQU’ILE DE KINBURN. — UNE DEBACLE.

Le lendemain du combat de Kinburn, vers six heures du matin, l’ennemi faisait sauter la forteresse d’Otchakof, exposée sans utilité (d’après les termes d’une dépêche russe) à une destruction inévitable si nos bâtimens se décidaient à la bombarder. À la même heure, tous les bâtimens de l’escadre mettaient leur pavillon en berne. Aux cris d’enthousiasme, aux chants de victoire allaient succéder les prières des morts. Le moment était venu de procéder à l’enterrement des deux marins de la Dévastation. L’arrière de notre batterie avait été transformé en chapelle. Un catafalque d’une imposante simplicité recouvrait les deux corps. Il n’y avait là ni drap noir étoilé d’argent, ni panaches blancs, ni flambeaux ciselés, ni croix funèbre brodée sur velours. Des pavillons aux couleurs nationales recouvraient seuls les restes mortels de nos braves camarades, et les parois de la chapelle improvisée étaient modestement décorées par les drapeaux de toutes les nations alliées.

Vers onze heures, l’aumônier du Montebello arriva revêtu de ses habits sacerdotaux. Le commandant de la Dévastation et ses officiers se rangèrent à droite et à gauche des cercueils : les états-majors, des divers bâtimens leur faisaient face. L’équipage sur deux rangs avait pris place à tribord et à bâbord. L’office des morts fut récité au milieu du recueillement général. Il n’est personne qui puisse assister sans une émotion profonde à une cérémonie funèbre