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en possession du fort, disait-on autour de moi, ils verront qu’on peut nous confier quelque chose. »

On ne s’était pas contenté de fortifier Kinburn ; on avait creusé à l’extrémité du village qu’abritait le château une tranchée armée de plusieurs pièces de campagne. Un chef de bataillon, préposé à la défense de cette position avancée, en avait fait l’objet de sa plus tendre sollicitude Le fossé était tellement large en cet endroit, que les eaux du liman et de la Mer-Noire venaient s’y confondre. Trois rangs de trous-de-loup le précédaient ; des filets abandonnés par les pêcheurs sur le rivage étaient un peu plus loin attachés sur des pieux. Ce rideau, invisible au tomber du jour, devait gêner singulièrement les assaillans qui auraient choisi ce moment pour nous visiter. Des cercles en fer, provenant de démolitions de barriques, se dressaient traîtreusement sous les pieds ; à demi enterrés, ils formaient des espèces de traquenards qui invitaient le passant le plus inoffensif à donner la tête la première dans la gueule béante des trous-de-loup. C’était une invention ingénieuse qui n’attendait qu’une occasion de se produire avec succès ; car le novateur lui-même se prit à son propre piège. Tous ces riens, tous ces gracieux colifichets de l’art militaire s’étalaient à l’envi aux abords de notre première ligne. Un jour, le colonel Muller se dit que, par un temps de brume aussi fréquent, il ne serait pas mauvais d’avoir en plus, à quelques centaines de mètres au-delà, un poste avancé, composé de quatre hommes seulement, pour interroger les alentours et prévenir au besoin toute velléité de surprise de la part des Cosaques. Il demanda parmi ses troupiers des hommes de bonne volonté, — le régiment tout entier sollicita cette faveur. Les élus furent donc immédiatement installés dans une petite masure qui s’élevait le long du liman, et formèrent, à partir de cet instant, un poste d’observation qui présenta une nouvelle garantie pour la tranquillité de chacun. Le fort du Nord n’était pas moins bien partagé que Kinburn même. Le fort intermédiaire avait reçu un détachement de marins ; le fort de la pointe était occupé par l’infanterie de marine, sous le commandement des lieutenans Aubein, Gastaldi et Dastugue.

Voilà pour la défense de terre ; mais la division du commandant Paris avait aussi sa tâche à remplir. La Dévastation, la Lave et la Tonnante étaient mouillées de telle façon que leur artillerie pût balayer la presqu’île sur tout l’espace qui s’étend du front sud de la forteresse à l’entrée du village. Des essais de tir avaient eu lieu et les projectiles atteignaient non-seulement la langue de sable, mais ils la traversaient dans une largeur évaluée à 800 métrés, et tombaient en ricochant encore dans la Mer-Noire. Elle eût été à plaindre, l’armée qui se fût aventurée sous la volée de nos canons.

La canonnière la Bourrasque commandait les ouvrages avancés ;