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Nous aurions été curieux de trouver dans sa Biographie, à défaut de révélations, les souvenirs de ses conversations politiques ; il n’est pas possible qu’un homme qui a tant causé, et avec tant de personnes, n’ait pas gardé dans sa mémoire quelques mots curieux, quelques lambeaux de causerie éloquente, quelque réponse spontanée et imprévue, propres à éclairer certaines physionomies d’hommes d’état ou d’écrivains. Il n’en est rien ; Béranger se tait lorsqu’il n’a rien de bon à dire ; il juge tout le monde avec une bienveillance pleine d’optimisme, même le roi Charles X, et le seul personnage qui sorte quelque peu maltraité de ses mains est le roi Louis XVIII.

Mais à défaut du personnage public nous aurons au moins le poète et l’homme privé tout entier ? Oh ! que vous connaissez peu Béranger ! Ici encore il faut vous attendre à de nouveaux désappointemens. La biographie s’arrête à la révolution de juillet, et reste muette par conséquent sur les vingt-sept dernières années de la vie du poète. Depuis 1831, il est vrai, Béranger a cessé de jouer un rôle actif, et il s’est renfermé dans sa retraite ; mais cette retraite était assiégée de visiteurs, et les hommes les plus illustres de notre temps y ont passé. Quoi ! pas un mot sur ses relations avec Chateaubriand, avec Lamennais, avec Lamartine ? quoi ! ces hommes illustres ne lui ont rien dit qui valût la peine d’être rapporté ? Voilà donc la vieillesse de Béranger rayée d’un second trait de plume ; il a caché l’homme public, il enveloppe l’ermite contemplateur dans un silence complet. Reste donc la jeunesse ; mais là encore Béranger n’est pas prodigue de révélations : il ajoute peu de détails aux faits que nous connaissions déjà, il en est même de très connus qu’il passe sous silence. C’est à peine s’il fait une ou deux fois allusion à ces entraînemens qui jouent un si grand rôle dans la jeunesse, et auxquels il avoue avoir été soumis. On conçoit que par réserve et respect de lui-même il se soit tu sur les peccadilles vulgaires qui accompagnent la première jeunesse ; mais il est une affection qui a tenu une grande place dans sa vie, qui l’a accompagné depuis l’adolescence jusqu’à ses derniers jours, une affection avouée, connue de tout le monde, et dont il pouvait parler sans blesser aucune convenance sociale. Il pouvait en parler, et j’ajouterai même qu’il le devait. Pourquoi laisser à d’autres, à des amis ou à des étrangers, le soin d’exprimer sa reconnaissance pour celle qui lui inspira l’admirable chanson de la Bonne Vieille ? Pourquoi ne pas introduire cette amie auprès du public immense qu’il s’est conquis et ne pas lui donner sa part d’immortalité ? Mille raisons lui commandaient impérieusement de ne pas garder le silence ; il devait à la mémoire de cette amie dévouée de ne pas la laisser confondre par la postérité, comme le public de nos jours l’a fait souvent, avec la compromettante