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depuis trois mois ses plus belles toilettes, comme s’il se fût agi de faire son entrée dans une capitale, doña Rosario s’habillait lentement.

— Chère mère, disait Teresa, pressez-vous donc ! Je vois bien qu’il faut que je vous aide… Quel éventail voulez-vous ? Ah ! mes souliers me gênent un peu, depuis si longtemps que je ne les ai mis !…

En parlant ainsi, la jeune fille sautait et faisait des pirouettes dans la cabine.

— Tiens-toi donc tranquille, niña, répondit doña Rosario ; tu as tout mis sens dessus dessous, et tu me fais tourner la tête… Voyons, me voilà prête, allons sur le pont, et montre-moi cette fameuse terre qui te rend folle de joie.

Elles montèrent ensemble sur le pont. L’île sortait tout entière du sein des eaux, et le navire, glissant sur une mer tranquille, s’en approchait assez rapidement. Quelques barques montées par des pêcheurs couverts de capotes noires à capuchon allaient et venaient le long du rivage. Sur les rochers, on apercevait les habitans de la campagne qui attendaient la venue des étrangers ; ils se tenaient immobiles, la tête penchée en avant, comme les pingouins qui font sentinelle sur les récifs des Malouines. À mesure qu’il avançait, le capitaine diminuait prudemment la voilure de son navire. Les pêcheurs rôdaient avec défiance autour du grand bâtiment ; ils craignaient d’avoir affaire à quelque négrier en détresse qui pourrait bien enlever de force les provisions dont il avait besoin et prendre le large sans les payer. L’isolement rend timide, et l’on a peur des inconnus dans une petite île qui n’a pour toute défense que sa pauvreté. Après maintes évolutions cependant, une barque s’aventura tout auprès du navire, et l’un des pêcheurs qui avait aperçu des dames à bord se décida résolument à accoster. Il fit un geste de la main, on lui lança une corde, et en un clin d’œil il fut sur le pont.

— Enfin j’ai un pilote ! dit le capitaine, et, s’adressant au pêcheur : — Peut-on jeter l’ancre ici ?

Le pêcheur répondit par un signe de tête affirmatif ; puis, se dépouillant de sa lourde capote, il saisit la roue du gouvernail. C’était un beau jeune homme aux traits mâles et réguliers, au teint hâlé, aux grands yeux noirs. Obéissant à l’impulsion de la barre, le navire tourna sur lui-même ; les voiles, à peine gonflées par une petite brise, s’aplatirent sur les mâts, et l’ancre tomba.

— Eh bien ! nous restons ici ? demanda Teresa.

— Croyez-vous que je puisse promener mon navire sur les cailloux et sur le sable ? répondit le capitaine avec un sourire. Venez par ici, à tribord. La chaloupe du pêcheur vous mènera à terre.

Doña Rosario, qui n’était pas très leste, descendit l’échelle à