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mer tant qu’il vous plaira ; Manoela nous servira de guide. N’est-ce pas, ma petite, tu veux bien venir avec nous ?

— Oui, je le veux bien, et puis, à moitié chemin, nous trouverons. la maison de ma mère, où vous pourrez vous reposer.

— Et prendre quelque chose ? car j’ai bon appétit.

— Tout ce qu’il y a dans notre humble maison est à votre service, répliqua Manoela.

— J’accepte, s’écria vivement Teresa, et ma mère aussi… Ah ! quel plaisir de dîner sous une tonnelle, comme dans ce livre traduit du français où l’on me faisait lire quand j’étais enfant ! Vous savez bien, ma bonne mère, ces contes où il y a des images qui représentent des demoiselles bien obéissantes, raides comme des poupées, avec des robes en fourreau et des petites collerettes ?…

— Les contes del señor Verquin, répondit solennellement doña Rosario ; un beau livre que j’avais emporté de Cadix pour édifier la jeunesse de Lima…, laquelle est beaucoup plus turbulente que les demoiselles dont tu parles.


II

Par malheur il n’y avait pas de tonnelle dans le jardin de la vieille Josefa, mère de Manoelita. La pauvre maison, lézardée en maints endroits, n’avait pour ornement à l’extérieur qu’un cep de vigne fort ancien, qui semblait vouloir empêcher les murs de crouler, tant il les enlaçait avec vigueur dans ses rameaux longs et flexibles comme des câbles. Quelques poules picoraient paisiblement devant la porte, sous la conduite d’un petit coq fort éveillé qui releva fièrement la tête et jeta un cri de surprise à la vue des deux dames étrangères marchant vers lui, sous la conduite de Manoela. Les poules, averties par leur seigneur et maître, regagnèrent tumultueusement la maison, et la vieille Josefa, soupçonnant quelque visite inaccoutumée, parut sur le seuil. C’était une grande femme sèche, portant assez noblement ses cheveux gris, et qui avait pu être aussi jolie que sa fille ; mais il y avait de cela longtemps.

Quand on est pauvre, on n’aime pas à étaler son indigence aux regards des indifférens. La venue des deux dames étrangères fit froncer le sourcil à la duègne, et Manoela ne put s’empêcher de ressentir un certain embarras lorsque Teresa, d’un air dégagé, s’arrêta devant la porte en disant : — Bonjour, ma bonne dame… Nous trouverons bien quelque chose à manger ici, n’est-ce pas ? Ah ! vous avez là une fille charmante !… Ne rougissez pas ainsi, petite ; si vous aviez habité les grandes villes, vous sauriez bien ce que valent vos grands yeux bleus encadrés de beaux cheveux noirs !

— J’ai bien peu de chose à vous offrir, mesdames, répliqua la