Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/788

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

duègne. — Et elle promenait un regard attendri sur les poules qui se pressaient autour de ses jambes.

— Petit, petit, petit, fit Teresa en jouant avec son éventail. Oh ! les charmantes poulettes !… Voulez-vous me les vendre ?

— Qu’en veux-tu faire ? dit doña Rosario ; comment les emporter d’ici ? Où les mettras-tu dans le navire ?

— Cela me regarde, chère mère… Voyons, je les paierai bien une piastre la pièce. — Puis elle s’assit sur un banc à l’ombre du cep de vigne, tandis que Manoela posait sur la table un pain blanc, des œufs, du lait et quelques raisins secs.

Le repas était frugal ; mais quand on touche la terre après une longue traversée, tout réjouit les yeux et tout plaît au goût. La duègne, que la vente de ses poules mettait en humeur de faire du commerce, tira du fond de son alcôve, comme pour y chercher quelque chose, de grands paniers de jonc qui servaient à serrer ses effets.

— Pour le coup, dit impétueusement Teresa, voilà des paniers qui me seront d’une grande utilité à bord du navire. On n’a guère d’armoires dans une cabine… Je les achète, c’est entendu !

— Si cela peut vous faire plaisir, répondit la vieille Josefa… J’y tenais pourtant beaucoup ;… ils ont été tressés par mon défunt mari huit jours avant son départ pour l’expédition de dom Pedro… Le pauvre homme avait obtenu les galons de sergent-major d’artillerie, et, au débarquement devant Oporto, il attrapa un biscaïen au milieu de la poitrine…

— Je vous plains, madame, dit doña Rosario avec gravité, ce sont là des peines dont on ne se console jamais…

— La vérité est qu’il ne me rendait guère heureuse, le pauvre homme, reprit la duègne ; avant de partir, il m’avait ruinée, et il m’a laissée dans la misère…

L’oraison funèbre que débitait lentement la vieille Josefa fut interrompue par la brusque apparition d’une chèvre blanche, qui s’élança d’un bond auprès de Manoela et se mit à faire des cabrioles à ses côtés. La jolie petite bête se dressait sur ses pieds de derrière, ramenant ses pieds de devant sous les touffes de sa longue barbe soyeuse.

— Elle est à vous ? demanda vivement Teresa.

Manoela répondit par un signe affirmatif. — Cédez-la-moi, cédez-la-moi, je vous en prie, continua la jeune Péruvienne ; n’est-ce pas, ma mère, vous le voulez bien ?

Habituée à satisfaire tous les caprices de sa fille, doña Rosario hasarda pour la forme quelques observations, qui furent aussitôt réfutées ; mais Manoela ne donnait pas son consentement. Silencieuse, attristée, elle faisait claquer ses doigts au-dessus de la tête