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de joie. Les huit coups de cloche appelant au quart du matin les matelots de service étaient arrivés jusqu’à son oreille en ricochant sur les flots.

C’est l’heure où l’on fait la propreté à bord des bâtimens, car on a l’habitude, quand on navigue, de frotter et de laver sa maison flottante comme si l’on s’attendait à recevoir des visites. Pieds nus, les pantalons relevés jusqu’aux genoux et les chemises de laine retroussées au-dessus du coude, les marins lançaient à grand renfort de bras des seaux d’eau sur le pont, tandis que le mousse s’efforçait de faire reluire le cuivre de l’habitacle. Au milieu de ce remue-ménage, la pauvre Branca, fort effrayée, bondissait d’un côté sur l’autre, poursuivie par les seaux d’eau salée, fuyant les balais, les fauberts et les vadrouilles, que des bras agiles agitaient en tous sens. L’officier de quart, assis sur la dunette, prenait plaisir à voir les sauts et les gambades de la jolie bête, qui flairait encore la terre et bêlait tristement en regrettant son île.

Cependant la barque du pêcheur approchait rapidement. Quand il ne fut plus qu’à une encablure du navire, il amena sa voile, et fit signe, qu’il voulait parler. L’officier de quart ayant ordonné de mettre en travers, une corde fut jetée à Diogo, qui s’amarra le long du bord. La Branca, qui l’avait reconnu, appuya ses pattes de devant sur la lisse, puis se prit à courir vers l’escalier de la chambre où se trouvait Manoela. Au même instant arrivait sur le pont le capitaine du navire, que l’on avait averti de la présence du pêcheur.

— C’est vous, pilote, lui dit le marin ; que voulez-vous ?

— Parler aux dames que vous avez à bord, capitaine.

— Elles dorment d’un profond sommeil, et n’ont pas coutume de recevoir des visites de si bonne heure.

— Je m’en doute bien, reprit Diogo ; mais le temps presse pour vous comme pour moi, nous ne pouvons rester arrêtés plus longtemps ici… Auriez-vous l’obligeance de leur dire que la mère de Manoela redemande sa fille, et renvoie l’argent qui lui a été donné.

En parlant ainsi, il remettait au capitaine les onces d’or renfermées dans la bourse en cuir. Celui-ci descendit dans la chambre, et, après avoir frappé discrètement à la porte de la cabine, il transmit à Teresa le message du pêcheur.

— C’est bon, c’est bon, répliqua la jeune fille ; qu’il emmène Manoela et sa chèvre, et tout ce qu’il voudra !… pourvu que l’on me laisse dormir. Entends-tu, petite ? Eh ! Manoela…

— Qu’y a-t-il donc ? demanda doña Rosario.

— Rien, ma mère ; la vieille femme d’hier a regret d’avoir laissé partir sa fille, et elle la réclame…

— Elle a renvoyé l’argent, ajouta le capitaine ; je l’ai là, entre les mains…