Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/826

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la vue d’un peuple qui achète et qui vend, du bruit éternel des roues des machines, des chevaux, du roulement des locomotives et des wagons qui même dans les rues de Londres passent au-dessus de vos têtes en sifflant, faites un pas, et au milieu de cette solitude aride de la foule vous trouverez l’oasis. Un soir d’été, j’étais dans Hyde-Park : autour de moi, tout faisait silence, à l’exception des oiseaux ; des vaches paissaient dans l’herbe, de vieux et grands arbres secouaient au vent leur chevelure négligée, des enfans jouaient, nageaient, barbotaient dans une pièce d’eau, la Serpentine. Au milieu de cet horizon immense, dont rien ne bornait la vue que des lignes de verdure et de ciel bleu, je me serais cru à cent lieues d’une capitale, et pourtant j’étais dans Londres. Mais une des perspectives les plus solennelles que je connaisse, c’est Londres vu à vol de steam-boat. Je ne comprends pas de grande ville sans un grand fleuve : c’est l’artère vitale du commerce. La Tamise, elle a le génie anglais, elle est sombre, profonde, laborieuse, puissante ; elle porte sur son dos des centaines de bateaux à vapeur, qui font le service d’omnibus et vont d’un bout de la ville à l’autre sous des noms poétiques, la Nymphe, la Dryade, l’Orgueil de Londres, l’Hirondelle, la Cigogne, la Fleur du soleil, Ne m’oubliez pas. Il faut voir, monté sur la proue de ces bateaux, les ponts de Londres, les édifices publics, Westminster, Saint-Paul, Somerset-House et toute sorte de clochers qui à une grande distance se lèvent dans le brouillard avec des airs de spectres, mais surtout les toits angulaires des vieux warfs avec les grues et les chaînes qui soulèvent vaillamment les massives et obscures richesses du monde entier.

Ce caractère de force et de grandeur se retrouve dans toutes les principales villes fondées par la race saxonne ; il se reflète de même sur les créations de l’industrie. Dans tous ses ouvrages, le génie saxon vise au gigantesque. Il aime la difficulté vaincue ; il met son orgueil à vaincre les faits les plus rebelles. J’assistais dernièrement dans les marais de Plumstead (Plumstead marshes) à l’essai d’un mortier comme on n’en a jamais vu, le vrai Falstaff des mortiers. Sa capacité est de trente-six pouces anglais ; il lance avec un bruit de tonnerre, et à une distance prodigieuse (environ quatre milles), des bombes énormes, qui s’enfoncent si avant dans la terre qu’il faut plusieurs jours de travail pour les retrouver, quand on les retrouve. Son nom est lord Palmerston. Cependant les inclinations de la race saxonne éclatent surtout dans les ouvrages maritimes : la Grande-Bretagne se représente elle-même sous la forme d’un navire. Quand je vins, en 1856 de Hollande en Angleterre, j’entrai de nuit sur un bateau à vapeur par la bouche de la Tamise. Toute une flotte marchande dormait ferme sur se ancres et détachait au clair