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Il ne faut pourtant point s’exagérer la nature de l’influence qu’exercèrent les Normands en Angleterre. Ce fut moins un élément de la population qu’un lien. Leur sang s’est versé depuis longtemps dans celui des Saxons et des autres races de la Grande-Bretagne : je ne veux pas dire pour cela qu’il se soit perdu ; mais il serait aujourd’hui très difficile d’en retrouver des traces authentiques, même dans l’aristocratie anglaise. Les Saxons, en refoulant les Celtes, avaient imposé leur langue. Les Normands vainqueurs subirent au contraire la langue des vaincus. Guillaume le Conquérant essaya bien d’introduire son dialecte, le franko-normand, parmi ses nouveaux sujets ; mais ses efforts ne furent point couronnés de succès. Après lui, la cour continua encore quelque temps de parler français, et cette langue étrangère était un des signes qui la séparaient de la nation, attachée à l’ancien idiome. C’est plus tard, vers l’an 1150, que le saxon subit ce travail de transformation qui, continué durant tout le moyen âge, en fit la langue anglaise. Les philologues de la Grande-Bretagne ne veulent point admettre que ce changement ait été dû à l’invasion normande, car, disent-ils, il ne s’était glissé jusque-là que très peu de mots français dans le dialecte national. Il existe aujourd’hui, il est vrai, un assez grand nombre de mots français dans la langue anglaise, mais ces mots paraissent s’être introduits à une époque ultérieure. C’est même encore l’objet d’un doute et d’une dispute entre les philologues de savoir si ces intrus viennent bien d’outre-mer, pu s’ils ne se sont point formés sur place de la décomposition des racines du latin, qui commençait dès lors à refleurir. Les recherches linguistiques, d’accord avec d’autres monumens, indiquent donc que la nation normande, bien loin de s’incorporer l’Angleterre, s’est absorbée elle-même dans sa conquête.

L’ethnologie contient un enseignement moral : elle réconcilie toutes les races dans un sentiment d’humanité. Cette science nous apprend en effet que les familles humaines possèdent chacune des dons différens, des instincts particuliers, une intelligence moulée sur un type d’organisation spéciale, des traits extérieurs qui ont tous une beauté relative, des aptitudes qui répondent à certains besoins de l’état social. C’est en agitant et en mêlant ces élémens humains dans l’urne sacrée des nations que la Providence forme la matière vivante de l’histoire. Les races simples manifestent des facultés également simples et bornées ; plus au contraire les races sont mêlées, et plus le caractère national abonde en nuances qui concourent, par l’opposition même, à étendre les ressources de la civilisation. Vous avez alors sous les yeux l’imposant spectacle de la variété dans l’unité. La nation anglaise est une nation composite,