Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/841

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en Angleterre les départemens du travail. L’impulsion n’est point venue d’un centre ; chacun de ces cercles se montre au contraire animé d’un mouvement propre : ils s’attirent les uns les autres sans se heurter, ni se confondre. La constitution anglaise, avec ses freins, ses contre-poids, est une image de la même tendance à l’équilibre des libertés par la division et l’antagonisme des pouvoirs ; il est permis sans doute de rêver un autre idéal politique, mais, à moins de préventions fortes, il est difficile de ne point être frappé par le mécanisme compliqué et majestueux d’institutions qui fonctionnent depuis des siècles, protègent toutes les libertés individuelles, assurent la paix à la Grande-Bretagne, sans lui imposer le sacrifice d’aucune conquête morale, ni civile. Il est surtout beau de voir l’usage que les Anglais ont fait et font encore tous les jours du droit de réunion. Ils connaissent trop bien la valeur de ce droit pour le compromettre dans des tentatives infructueuses ou téméraires. J’assistais, dans Saint-Martin’s Hall, à un meeting provoqué par le sunday ligue, une société qui se propose de combattre l’observance judaïque du dimanche, en faisant ouvrir ce jour-là aux habitans de Londres les musées et les autres établissemens publics. Cette réforme si simple est une de celles qui rencontrent le plus de résistance en Angleterre, parce qu’elle a contre elle le sentiment religieux, les habitudes et les hautes influences de l’église nationale. Un ouvrier anglais qui se trouvait à côté de moi me dit : « Nous savons bien que nous ne réussirons pas cette fois, ni cette année, ni l’année suivante ; mais dans notre pays on sait demander et attendre : avec cela, on triomphe toujours. » A la vue d’une telle discipline, d’une telle persévérance, d’une foi intrépide et calme dans la force de l’opinion publique, on ne s’étonne plus que le peuple anglais atteigne à toutes les réformes raisonnables sans ébranler la base d’une constitution qui ouvre une voie si sûre au progrès. La limite des libertés politiques est ici dans les mœurs, dans le sentiment du devoir. Chacun est à lui-même son surveillant et son propre censeur : il veut qu’on respecte son droit, mais il sait respecter celui des autres. Ces conditions morales assurent le maintien de l’indépendance mieux encore que les réunions et les autres garanties civiles. La liberté est une honnête femme : elle ne se donne point au peuple qui la recherche avec le plus d’ardeur, elle se donne à celui qui la mérite.

À une nation aussi agitée par la tempête des affaires que la nation anglaise il fallait une ancre, et cette ancre est la famille. L’intérieur tient une grande place dans la vie britannique. J’aime surtout le mot qui sert à le désigner : le chez soi est égoïste ; le foyer n’embrasse qu’un détail des mœurs domestiques : le home des Anglais exprime, lui, ce qu’il y a de plus complet, de plus délicat, de plus