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pour un vieillard imbécile. Me dépouiller de ma fortune, tel était votre projet du premier jour, tel vous l’avez suivi, tel vous le poursuivez encore... Cela pouvait se comprendre au jour où, pauvre mendiante, vous viviez de la charité de vos parens; mais aujourd’hui qu’un mariage doré vous a rendue riche à millions, il faut que vous soyez aveugle et insatiable pour poursuivre de pareilles menées... C’est la guerre que vous voulez : eh bien! soit, la guerre, madame, mais elle sera terrible ! — En prononçant ces paroles, la baronne s’élança d’un bond hors de la chambre.

« Cette affreuse scène inaugurait dignement pour moi les émotions de cette journée néfaste entre toutes. Lorsqu’au soir je me rendis auprès de mon grand-père malade, je le trouvai en proie à des vomissemens violens qu’il attribuait à une potion que lui avait administrée la baronne, et dont il n’avait voulu prendre que quelques gorgées, tant son acre saveur l’avait dégoûté. J’envoyai immédiatement chercher le docteur, qui n’arriva qu’assez avant dans la soirée. Lorsqu’il voulut examiner le médicament qui avait provoqué cette crise, on ne le trouva plus. Apporté dans la journée par un certain drôle nommé Pascal, domestique favori de la baronne, il avait disparu, et malgré les recherches les plus minutieuses, on ne put le retrouver!... Ma main tremble en t’écrivant ces douloureuses confidences. Oh! il est affreux d’émettre de pareils soupçons, mais ils ne partirent pas de mon cœur seul. Mon grand-père en présence de la baronne, jetant sur elle un regard dont je n’oublierai jamais l’expression terrible, fit au docteur des recommandations qui annonçaient assez les terribles soupçons dont son âme était saisie.

« Je n’ai pas besoin d’ajouter que le notaire était reparti sans avoir pu arriver jusqu’au malade. Dieu, qui lit au fond de mon cœur, sait, toi-même, qui me connais, tu sais combien les choses d’argent me sont indifférentes : la fortune de mon mari n’est que trop considérable pour mes goûts simples... Ce qui me préoccupe, ce qui m’inquiète pour l’avenir, c’est la haine de cette femme, une haine terrible qui ne reculera devant aucune extrémité. Je ne puis me dissimuler qu’elle a su par ses artifices s’insinuer dans les bonnes grâces de mon mari, si réservé, si défiant dans ses affections. De jour en jour je peux lire les progrès qu’à l’aide d’une détestable hypocrisie elle sait faire dans sa confiance. Oui, je le sens, un de ces pressentimens du cœur qui ne trompent jamais me dit que la paix de mon intérieur est menacée; un serpent, un démon s’insinue en rampant au sein de mon foyer : là est le sujet de toutes mes angoisses, de toutes mes craintes! Jusqu’ici cet être pervers n’a pas, il est vrai, réussi à semer la division entre mon mari et moi; mais sa haine s’arrêtera-t-elle inassouvie, ses efforts seront-ils toujours impuissans ?