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Soupizot le désir de connaître le résultat de la grande affaire du jour, et il se trouva salué par ces diverses interpellations, qui partirent comme un feu de file :

— Quelles nouvelles apportez-vous, monsieur Desbois? dit le comte.

— Cette malheureuse créature serait-elle condamnée? s’écria la comtesse, incapable de maîtriser son émotion.

— Cher d’Aguesseau, avons-nous emporté notre petite condamnation capitale? demanda Jeanicot avec un sourire plein d’aménité.

L’attitude de l’homme grave, sans accuser l’abattement de la défaite, n’avait point cette intime assurance qui caractérise les victorieux. L’œil mélancolique sous sa lunette d’or, la bouche ouverte par un sourire modeste, tout en lui trahissait l’auteur incompris qui n’a recueilli pour prix de ses efforts qu’un improductif et bâtard succès d’estime. — Le jury a admis des circonstances atténuantes, dit le magistrat en homme qui arrive au fait, sans circonlocutions.

— C’est en vérité incompréhensible après votre superbe réquisitoire, car, sans flatterie aucune, vous vous êtes élevé ce matin à la plus haute éloquence, dit Cassius.

— Et cette infortunée n’est pas morte de honte et de remords? interrompit la comtesse.

— Des circonstances atténuantes! répéta machinalement Marmande.

— Voulez-vous dîner, monsieur Desbois? dit Kervey, qui n’accordait qu’un médiocre intérêt au sort de la condamnée.

— Mille remerciemens, c’est fait, répondit l’homme grave en s’approchant de la cheminée.

— Et comment vous expliquez-vous ce prodigieux verdict? repartit Jeanicot, qui ne pouvait s’empêcher de ressentir vivement l’échec éprouvé par son ami.

— Ah! pour cela je ne m’en charge point, je laisse ce soin à MM. Les jurés. Dans mon humble jugement, je me déclare incapable de trouver au verdict une explication, une excuse même, dirais-je, si je parlais suivant ma conscience. — M. Desbois continua vivement, en orateur qui ne veut pas perdre l’occasion de placer un discours tout fait : « Si jamais crime fut prouvé jusqu’à l’évidence, si jamais crime fut entouré de circonstances atroces, ce fut assurément celui de la femme Péterel. C’est au sein du foyer conjugal que l’empoisonneuse a été choisir sa victime. Sous l’apparence d’une potion salutaire, elle a servi le breuvage homicide au mari qui la chérissait comme un père, au vieillard aveugle qui eût trouvé appui et protection chez tout cœur bien né. Ah ! pour frapper ainsi sans pitié, sans remords, elle a dû dépouiller non pas les instincts de l’épouse, mais les instincts de la femme!... Et cela même sans l’ex-