Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/887

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mutilé auquel elle avait consacré sa vie. — George, dit-elle avec une tendresse infinie, si vous souffrez, si votre vie est pleine de douleurs, ma place n’est-elle pas près de vous?... Ne suis-je pas votre épouse?... Et vous me chassez!

— Appelons cela, madame, une séparation à l’amiable, reprit le comte, dont le cœur resta de glace à cet appel tout plein d’exquise sensibilité.

— George, reprit la jeune femme, il y a dans tout ceci quelque mystère que ma raison cherche vainement à pénétrer... Oh ! je vous le jure, en ce moment où j’interroge mon cœur comme Dieu l’interrogera un jour, je n’y vois que pitié pour vos souffrances, dévouement à vos volontés. Je vous le jure, je n’y vois pas une action, une pensée dont une honnête femme puisse rougir.

Le comte reprit avec une impatience brutale qu’il ne chercha plus à dissimuler : — Eh ! bien loin de moi, madame, la pensée d’accuser votre conduite, votre pitié pour mes souffrances, votre dévouement à mes volontés : qui en doute? Il n’y a pas eu dans votre vie de deux années une action, une pensée dont une honnête femme puisse rougir : qui en doute? Assurément ce n’est pas moi!... Je vous l’ai dit, s’il vous faut absolument une explication de mes volontés, choisissez-la vous-même dans les nombreuses bizarreries de mon malheureux caractère. Et maintenant, adieu, madame; cet entretien a duré trop longtemps. Laverdure vous remettra au matin le premier quartier de votre pension. Demain soyez partie.

En entendant ces paroles de mépris, l’émotion de la comtesse se calma comme par enchantement; une vive rougeur colora ses joues pâles; son regard, de suppliant qu’il était, devint calme et assuré. — Monsieur le comte, dit-elle, je connais et je respecte mes devoirs d’épouse, mais je connais et je respecte aussi ma dignité de femme et de mère. En ce moment suprême, je vous adjure par votre honneur de gentilhomme, dites, dites-moi les causes qui ont provoqué votre implacable résolution. Cette explication, vous me la devez... Je l’implore, je l’exige.

Il y avait tant de fermeté dans la voix de la comtesse, son regard brillait si tranquille et si pur, qu’un instant Marmande se demanda si le crime pouvait emprunter à ce point les allures de l’innocence; mais la lueur de la vérité ne fit que traverser son esprit égaré, car il reprit froidement : — Qu’il soit fait à votre volonté, madame.

Il poursuivit après une pause : — Un breuvage qui m’était destiné a été empoisonné ce matin. J’ai vu, de mes yeux vu, le poison que vous cachez dans votre boîte à ouvrage.

— Oh! mais c’est du délire, une épouvantable folie! interrompit la comtesse, éperdue à cette révélation inouïe.