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suite d’expositions publiques, se justifient beaucoup plus, quoiqu’elles aient aussi soulevé des objections qui se sont fait jour jusque dans les documens officiels. L’utilité des expositions n’est pas douteuse, celle des primes l’est davantage. Le véritable jury, dit-on, c’est le public ; les décisions des jurés spéciaux, si indépendans, si désintéressés, si habiles qu’ils soient, peuvent toujours être soupçonnées de légèreté ou de complaisance ; il est impossible qu’elles soient toujours exactement justes, et les conséquences d’une erreur peuvent être très graves pour les concurrens éliminés. Sans doute, c’est pousser un peu loin le rigorisme ; on ne comprendrait pas chez nous une exposition qui ne se terminerait pas par une distribution.solennelle de récompenses, et l’émulation ne serait peut-être pas suffisamment excitée, si les médailles et les croix ne brillaient plus en perspective. L’observation n’en a pas moins son côté sérieux, à plus forte raison quand il s’agit d’un jugement rendu sur pièces, et dont tous les élémens ne sont pas placés sous le contrôle vigilant du public.

Il n’est probablement jamais venu à l’idée de personne de créer un prix d’honneur pour la manufacture la mieux tenue ou la maison de commerce la plus prospère, et quand même ce prix serait institué, il est fort douteux que les manufacturiers ou les commerçans voulussent s’assujettir à montrer leurs livres et tous les détails de leurs ; opérations, surtout avec le risque de succomber dans l’épreuve et de voir donner le prix à un concurrent. L’agriculture n’en est pas tout à fait là : l’esprit de concurrence n’y est pas aussi actif que dans le commerce et on y sent moins la nécessité du secret ; mais il ne faut pas croire non plus à une trop grande différence. À mesure que l’esprit industriel pénètre dans l’agriculture, ce qui est pour elle l’agent le plus puissant du progrès, les habitudes de l’industrie y pénètrent aussi. En fait, ceux de nos départemens où la culture est le plus riche sont ceux qui ont fourni le moins de concurrens pour le prix d’honneur.

La quotité extraordinaire de la prime, qui a son côté séduisant, accroît encore la difficulté. 8,000 francs pour une seule récompense, c’est beaucoup, surtout dans le monde rural, où l’on est peu habitué à faire de pareils gains d’un seul coup. Ce n’est pas trop, si l’on veut, quand on rencontre une exploitation rurale complètement hors ligne, et dont la supériorité sur toutes les autres, n’est pas contestable ; mais combien de fois peut-on espérer de mettre la main sur ce merveilleux phénix ? Ce qui arrivera presque toujours, c’est qu’on se trouvera en présence de plusieurs concurrens égaux, ou à peu près, et qui ne seront eux-mêmes qu’une fraction des candidatures possibles, car tous ceux qui pourraient concourir ne concourront certainement pas. Le choix paraîtra de plus en plus délicat,