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nous avons plus de numéraire que nous n’en avons jamais eu. La véritable cause est la large brèche faite au capital national par une série de pertes successives. Quand l’agriculture souffre, tout souffre. Quatre années de mauvaises récoltes ne passent pas sur un pays sans laisser des traces profondes, surtout si la guerre sévit avec la disette, et si le luxe y ajoute ses prodigalités. Ces pertes se réparent aujourd’hui peu à peu ; mais il faut du temps, même avec une nation aussi bien douée que la nôtre, pour fermer de pareilles plaies. S’il y a lieu de s’étonner, c’est que la crise n’ait pas éclaté plus tôt et ne soit pas plus grave ; il faut maintenant qu’elle suive son cours jusqu’à ce que l’épargne ait recomposé la portion détruite du capital national. Le plus renommé des économistes anglais contemporains, M. Stuart Mill, remarque, dans ses principes d’Économie politique, que les temps où l’état fait de grands emprunts se distinguent toujours par une extrême activité apparente, mais que, quand le premier moment est passé, une période marquée de gêne et de marasme lui succède nécessairement. « L’emprunt, dit-il, n’a pu se faire sur la portion du capital représentée par les outils, les machines, les bâtimens ; il a dû provenir de la portion destinée au paiement des travailleurs ; le déficit causé par l’emprunt doit donc être réparé par les privations des classes laborieuses. »

Tant que les fonds publics sont à bas prix, rien ne peut prospérer, car le cours des rentes sur l’état et des autres valeurs à intérêt fixe donne la mesure de l’abondance ou de la pénurie des capitaux. Nous avons vu le 3 pour 100 tomber au dessous de 62 au moment où l’état avait ses plus grands besoins, de sorte que, pendant plusieurs années, chacun a pu placer ses économies sur l’état à 5 pour 100 ou à peu près. On nous apprend aujourd’hui que le grand-livre est désormais fermé, et le résultat de cette affirmation a été de porter en quelques semaines le 3 pour 100 à 70 ; il n’en restera probablement pas là, si toute nouvelle prévision d’emprunt s’évanouit absolument, car nous l’avons vu dans d’autres temps au-delà de 80, et en ce moment même le 3 pour 100 anglais dépasse 96. À mesure que les épargnes nouvelles ne pourront plus se placer sur l’état qu’à des conditions moins favorables, on les verra refluer sur d’autres placemens. En même temps que les valeurs à intérêt fixe baissaient par suite d’un excès d’émission, les valeurs aléatoires montaient rapidement, second symptôme non moins fâcheux que le premier. Des bénéfices accidentels, acceptés comme durables, avaient répandu dans le public cette opinion fausse et dangereuse, que les placemens à 20 pour 100 sans travail pouvaient se multiplier à l’infini. Ces illusions sont aujourd’hui tombées, après avoir fait quelques heureux et beaucoup de victimes. Bon nombre de ces entreprises à profits fabuleux