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DE L'IMPORTANCE HISTORIQUE
DU GRAND CYRUS
ROMAN DE Mlle DE SCUDERY.



Qui lit aujourd’hui le Grand Cyrus de Mlle de Scudéry ? qui le lisait au XVIIIe siècle, et déjà même dans les dernières années de Louis XIV ? Le public en avait entièrement perdu la mémoire, et quand en 1713, on s’avisa de mettre au jour les Héros de roman, avec un Discours préliminaire où Boileau, avant de mourir, avait pris à tâche de se moquer du Cyrus, on ne fit pas la moindre attention à ces plaisanteries surannées : personne ne savait plus de quoi voulait parler le vieux satirique.

Cependant le Cyrus est le chef-d’œuvre d’une des femmes les plus spirituelles et les plus célèbres du milieu du XVIIe siècle. Mme de Sévigné, qui apparemment se connaissait en agrément et en délicatesse autant que Boileau, a loué avec effusion l’auteur et l’ouvrage, et de 1649 à 1654, d’un bout de la France à l’autre, à la cour et dans la plus haute aristocratie, comme dans la bourgeoisie instruite et cultivée, à Paris et en province, dans tous les rangs de la société la plus polie de l’univers, on ne lisait pas seulement, on s’arrachait, on dévorait, à mesure qu’ils paraissaient, chacun de ces dix gros volumes, aujourd’hui oubliés, et qui dorment d’un sommeil séculaire dans les bibliothèques de quelques rares amateurs.

Comment expliquer un si soudain et si étrange changement ? Il y en a bien des causes ; nous nous bornerons à en marquer une seule, mais qui dispense d’en rechercher aucune autre. En son temps le Cyrus était parfaitement compris des lecteurs d’élite auxquels il