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de Regnard, sinon de Molière, et le voilà qui tombe dans les concetti et le marivaudage quintessencié. Le langage qui conviendrait à son esprit judicieux et sain est un langage cru et même un peu cynique : craignant sans doute d’effaroucher, M. Augier s’efforce au contraire d’être gracieusement coquet, et je dirais volontiers gentil ; on dirait à certains momens Figaro qui prend les airs et le langage de Chérubin. Il excelle, quand il le veut, et il le veut trop rarement, dans le style simple et familier ; mais la simplicité toute nue semble lui déplaire, il faut en quelque sorte qu’il orne cette nudité, qu’il la fasse parée, pimpante, provocante. C’est là le plus grand défaut de M. Augier ; qu’il nous permette de le lui dire en toute sincérité, il faut être un plus grand poète qu’il ne l’est pour oser orner la simplicité. Quand Shakspeare, par exemple, décore quelqu’une de ses grandes pensées de tout le luxe de ses métaphores et de ses images, cette pensée ne cesse pas d’être simple pour être parée, et elle se dresse devant nous comme une jeune sauvagesse dont la beauté nue resplendit encore davantage sous le reflet brillant de ses colliers et de ses bracelets. Au contraire, lorsque M. Augier, au lieu de nous présenter avec candeur ses pensées toutes nues, vient les parer de quelque modeste image, ou de quelque ingénieuse épithète, je trouve ces ornemens déplacés, parce qu’ils sont trop mesquins. Ce n’est plus la sauvagesse dont je parlais, tout à l’heure, c’est tout au plus une agréable bourgeoise en déshabillé, qui étalé sous mes yeux quelques pauvres bijoux achetés l’un après l’autre avec les économies de son ménage.

Vraiment M. Augier se fait tort et ne s’estime pas ce qu’il vaut. Qu’il ait donc plus de confiance en lui-même, qu’il ne dédaigne pas autant qu’il le fait les dons qu’il a reçus. Pour moi, quand je lis M. Augier, il me donné l’idée d’un talent plus robuste que celui que ses œuvres révèlent. La nature du poète me paraît bien supérieure à ses productions. Je découvre à cette lecture un autre poète que celui que nous connaissons, un poète qui s’est coupé les ailes et qui n’a pas pu prendre encore son essor, mais que nous saluerons un jour peut-être, si le poète ne s’impose pas quelque nouvelle mutilation, car ses ailes repoussent, et la Jeunesse en est la preuve. Que M. Augier se débarrasse donc de tous ces oripeaux qui gênent son allure, de ces contraintes qui gênent sa franchise, de cette timidité qui paralyse son talent ! Quelle est donc cette nature que nous croyons découvrir en lui, et qu’il comprime autant qu’il le peut ? Il fut un temps où l’on aurait plu sans doute à M. Augier en lui disant qu’il était un néo-grec ou un néo-latin ; on lui plairait encore aujourd’hui sans doute en lui disant qu’il est le champion du bon sens contre les folies de l’école romantique. M. Augier n’est rien de tout cela. On le