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décider son fils à être enfin riche et heureux. La scène entre la mère et le fils est d’une grande beauté, et c’est même, à mon avis, la plus belle peut-être qu’il y ait dans le théâtre contemporain. Philippe avoue enfin à sa mère son amour pour Cyprienne. — Ne me condamne pas, lui dit-il ; souviens-toi de ton amour pour mon père. Toi aussi, tu as cherché avant tout le bonheur dans le mariage, et ton exemple m’absout. — Oui, je me souviens, répond Mme Huguet. Alors elle fait à son fils, avec les détails les plus minutieux et les plus précis, le récit de sa vie passée. Ce fier amour, qui d’abord supportait avec tant de courage les privations et la médiocrité, cet amour qui ne demandait qu’à vivre de dévouement, n’est que le prologue rayonnant et rapide de la vie misérable qu’elle a menée depuis. À l’amour succéda l’estime le jour où la jeunesse et la beauté déclinèrent, et à l’estime succéda bientôt la monotone douceur de l’habitude. Dès lors les soucis mesquins, les privations misérables, usurpèrent dans son cœur toute la place que l’amour y avait occupée, et ils ne l’ont plus quitté. L’être que Philippe contemple, cette mère ambitieuse, positive comme un chiffre, sèche et stérile, fut autrefois une jeune femme aimante, dévouée, sensible, qui ne voulait pas croire au bonheur sans l’amour. Voilà les métamorphoses que peut opérer la pauvreté ! Oh ! par pitié pour toi-même, s’écrie-t-elle, affranchis tes enfans de la pauvreté qui pèse sur toi, de cette pauvreté que tu dois à l’amour de tes parens ! L’intérêt qu’inspire cette belle scène est d’un ordre très élevé, et nos dramaturges à la mode pourront apprendre en l’écoutant comment on peut émouvoir sans remuer de lourdes machines mélodramatiques et créer des péripéties violentes. La situation dans laquelle sont placés les personnages de M. Augier est purement morale, et cependant elle est singulièrement dramatique, car elle consiste dans un renversement ou pour mieux dire dans une altération d’un des plus purs sentimens de l’âme, l’amour maternel. On suit avec une émotion pénible les efforts de cet amour maternel dépravé pour engager l’objet de ses affections à étouffer en lui la voix de la jeunesse. C’est la mère protectrice de la candeur de son enfant qui lui enseigne la lâcheté, et qui, honnête entremetteuse, lui conseille un mariage d’argent où il ne trouvera pas le bonheur, mais où il trouvera la richesse. Comme les mères qui livrent leurs filles ne tiennent pas un autre langage que Mme Huguet, il était très difficile de faire accepter aux spectateurs une situation aussi délicate, et qui pouvait si aisément devenir choquante. M. Augier s’est tiré avec bonheur de cet embarras. Après ce quatrième acte, on est en droit d’attendre beaucoup de M. Augier, et son nouveau titre d’académicien lui impose certes moins d’obligations que la scène entre Philippe et Mm8 Huguet.

Philippe fera donc un mariage d’argent, mais auparavant il commettra