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« THUMELICUS. — Ne pas me battre, quand la grâce de César me donne Kéyx pour adversaire ! Ne pas me battre, rester caché comme un lâche, pendant que mes camarades, s’élançant joyeux dans l’arène, iront donner le salut de mort à César ! Faudra-t-il que Kéyx me montre au doigt avec dédain, m’appelant cœur de fièvre, me traitant de poltron ? Ne pas me battre, dis-tu ? Plutôt mourir !

« THUSNELDA. — Sigmar, le courage sied à l’homme : tu es courageux, et tu le montreras, je le jure, tu le montreras bientôt et glorieusement à cette Rome orgueilleuse. Seulement, mon fils, ce courage et cette force, ce n’est pas maintenant, ce n’est pas ici, dans un vil jeu d’histrions, qu’il faut les déployer.

« THUMELICUS. — Comment dis-tu ? un vil jeu d’histrions ! Quand Rome se pare de toutes ses splendeurs pour la fête, quand César, le sénat, les chevaliers, dans un majestueux cortège, s’avancent vers le cirque, quand déjà la foule aux mille cris, aux mille visages, comme une mer tumultueuse, emplit l’immense amphithéâtre ! César a fait un signe, les barrières s’ouvrent aux lutteurs, et soudain c’est un silence, un silence,… comme si le monde eût toujours été muet. Écoutez ! voici le signal, les coups retentissent : celui-ci s’élance, celui-là, d’un mouvement rapide, se jette de côté et enveloppe de ses filets le casque de son adversaire… En vain ce dernier s’efforce-t-il de se dégager, il s’embarrasse de nouveau ; il frappe, il est frappé, son sang coule, le voilà qui chanchelle, il tombe, offre lui-même sa poitrine à l’ennemi, reçoit le coup et meurt. Soudain, comme le tonnerre déchire la nue, des applaudissemens, roulant comme la foudre, ébranlant la terre, éclatent de toutes parts sur la tête enivrée du vainqueur. Les lauriers et les roses pleuvent à ses pieds. César fait un signe d’approbation, et ce cri : Gloire au vainqueur ! retentit dans les airs, poussé par des milliers de voix. C’est là un jeu, dis-tu, un vil jeu d’histrions ! C’est la victoire, c’est la gloire, c’est la vie !

« THUSNELDA. — Tu fais des rêves de victoire ! Ne comprends-tu pas, aveugle insensé que tu es, ne comprends-tu pas que les Romains veulent te tuer pour venger sur le fils la victoire remportée par le père ? Et tu pourrais, tu voudrais ?…

« THUMELICUS. — Je veux me battre ! je veux me battre !

« THUSNELDA. — Et l’Allemagne, malheureux, que tu déshonores ! et le nom de ton père que tu profanes ! et l’espoir de ta mère que tu trahis ! N’est-il plus rien de sacré pour toi ? Es-tu donc un gladiateur, parce que Rome t’a donné ce nom et t’a enseigné ce métier ? Non, tu es le fils d’Armin, tu es Allemand. C’est à nous, Sigmar, à nous que tu appartiens.

« THUMELICUS. — Allemand, Romain, qu’est-ce que cela ? Je suis un gladiateur ; mon métier, c’est la lutte, et si à cause de ton Allemagne tu as honte de moi, à mon tour, sache-le, j’ai honte du nom allemand, j’ai honte, entends-tu, d’être un barbare, et j’abjure ici à jamais toute communauté de nom et de race avec l’Allemagne. C’est à Rome que je suis né, c’est Rome qui m’a élevé, je suis…

« THUSNELDA. — Arrête, malheureux ! arrête !

« THUMELICUS. — Je suis Romain, je veux être Romain. Et toi, messager de