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Du fiel de ma tristesse il ne reste plus rien
Dans mon sang réparé par ces divins fluides;
Mon cœur s’est enrichi de ces cœurs intrépides,
Leur battement sublime est devenu le mien.

Le laboureur d’en haut fit en moi ses semailles;
Le sol renouvelé cache une ample moisson;
Le maître, en extirpant la pierre et le buisson,
Pour me fertiliser déchira mes entrailles.

En vain sur mes sillons par tous les vents battus
L’hiver déchaînera son lugubre cortège,
Et les froides vapeurs, et le doute, et la neige...
Les épis jailliront et les fortes vertus.

Venez donc m’assaillir avec toutes vos armes,
Apres ambitions, plaisirs, lâches frayeurs!
De toute servitude éternels pourvoyeurs,
Usez, pour ma défaite, usez de tous vos charmes.

J’attends et je suis fort; moi, si débile hier.
Je suis prêt à vous vaincre en un combat suprême,
A briser votre joug, à rester pur et fier...
De plus vaillans que moi combattront en moi-même.

Par ses grands souvenirs mon cœur est défendu;
Mon cœur est habité comme une citadelle.
Les héros que j’implore en mon culte assidu
Sauront garder leur temple et leur humble chapelle.

A défaut de ces dieux lointains et triomphans.
Toi l’ange maternel, toi, simple et forte femme,
Qui veilles, de là-haut, l’aïeul et les enfans,
Tu peux m’aider à vaincre, à toi seule, ô grande âme!

Non, tu n’interdis pas ces sommets à ton fils;
Aux maîtres les plus fiers devant moi tu t’y mêles.
Et ta voix me commande, au pied du crucifix.
D’aller chercher partout des armes et des ailes!

Les hauts lieux m’ont ouvert leur magique arsenal,
Je m’y suis revêtu de granit et de chêne;
Leur souffle en moi s’agite, et leur feu s’y déchaîne,
Et mon cœur débordant n’attend plus qu’un signal.


VICTOR DE LAPRADE.