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glais. En un mot, si nous n’étions encore fixés nulle part, on nous avait vus partout, et soit qu’elle excitât quelques espérances, soit même qu’elle éveillât de secrètes jalousies, la présence de notre escadre attesta que la France était résolue à prendre désormais une part plus active aux affaires de l’extrême Orient. En quittant le commandement de la station des mers de Chine, qu’il avait exercé pendant près de cinq années, l’amiral Cécille pouvait s’attribuer le mérite d’avoir contribué largement, de concert avec M. de Lagrené et après le départ de l’ambassadeur, à rétablir dans ces régions l’influence française.

Sans méconnaître les services rendus par les officiers qui ont commandé la station, ni par les ministres qui ont représenté la France en Chine depuis 1847, j’ai hâte d’arriver à l’époque actuelle. Nous avons en ce moment une forte escadre dans les eaux du Céleste-Empire. Nous venons de déclarer la guerre au vice-roi de Canton, et déjà notre pavillon flotte, à côté du drapeau anglais, sur les murs de cette ville. Il paraît en outre que le gouvernement se propose d’envoyer à l’amiral Rigault de Genouilly, qui commande l’escadre, des renforts considérables qui comprendront des troupes d’infanterie et un détachement du génie : d’où l’on est amené à penser qu’il compte fonder sur quelque point de l’Asie un établissement colonial et accomplir ce que les gouvernemens antérieurs ont vainement tenté. On a même indiqué la Cochinchine, ou tout au moins le port de Tourane, comme devant être le siège de la nouvelle colonie française. Il y a là deux questions distinctes à examiner : en premier lieu, notre politique particulière à l’égard de la Chine, et les résultats de notre alliance avec l’Angleterre dans les opérations engagées contre Canton; en second lieu, le choix de la colonie à fonder et les proportions qu’il conviendrait de donner à cet établissement.

Le meurtre d’un missionnaire français, M. Chappedelaine, condamné par les autorités chinoises, contrairement aux termes de l’édit négocié en 1845, justifie pleinement notre déclaration de guerre : il s’agit de venger un compatriote et de défendre la foi chrétienne. A peu près vers le même temps (1856) s’est produit à Canton l’incident de l’Arrow, qui a fait éclater entre le vice-roi et le gouverneur de Hong-kong une mésintelligence dont les symptômes couvaient depuis plusieurs années. Le vice-roi s’étant refusé à donner les satisfactions que l’on exigeait de lui pour la saisie de l’Arrow, à recevoir dans l’intérieur de la ville de Canton les fonctionnaires anglais, le gouverneur de Hong-kong, sir John Bowring, et l’amiral Seymour, comandant l’escadre britannique, crurent devoir recourir à la force et commencer les hostilités sans attendre les instructions de leur gouvernement. Le cabinet de Londres, approuvant ces premiers actes, pensa que le moment était venu d’en finir avec cette éternelle question chinoise, de demander la révision du traité de 1842, et d’obliger le Céleste-Empire à adopter, dans ses rapports avec l’étranger, les lois et les usages consacrés par le droit des gens. Il expédia donc de puissans renforts à l’amiral Seymour, et il envoya en qualité de commissaire extraordinaire lord Elgin, qui fut chargé, avec les attributions les plus étendues, de diriger la politique anglaise en Chine, de traiter non-seulement les questions de détail qui se rattachaient à la misérable affaire de l’Arrow, mais encore l’ensemble des questions qui inté-