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listes. Le mérite de M. Lanfrey est d’entrer dans cette étude avec un sentiment assez énergique de libéralisme. C’est ainsi qu’il arrive à cette conclusion bien juste, que la démocratie absolue est la plus terrible ennemie de la liberté. A ses yeux, il y a toujours dans la révolution de 1789, deux principes qu’on ne peut scinder, qui doivent marcher ensemble, le principe de la liberté et le principe de l’égalité. Faire vivre ensemble ces deux choses, voilà le problème. M. Lanfrey comprend-il toutes les conditions de ce problème quand il dit que « dans toute révolution il faut que la force accomplisse sa tâche? » Malheureusement, quand la force a commencé son œuvre, elle ne s’arrête pas ; les violences se succèdent; on marche de réactions en réactions, et un jour, si l’on s’arrête un instant pour se demander comment il se fait que tout manque, tout échoue, on se reporte au point de départ, et on trouve le germe fatal déposé par la force dans les ouvrages des hommes.

Que les idées révolutionnaires aient une puissance politique réelle, tout l’atteste assez. L’histoire est pleine de leurs œuvres, mais jusqu’ici elles n’ont pas produit leur poésie, car on ne peut assurément donner ce beau nom de poésie à tous les vers nés de l’enthousiasme révolutionnaire. Ce n’est point un phénomène surprenant; cela tient à ce que ces idées, par leur essence, développent des instincts contraires à l’idéal par qui vit toute poésie. M. Maxime Ducamp n’en est nullement convaincu. Malheureusement il ne réussit pas à prouver la fécondité d’une inspiration purement démocratique ou révolutionnaire. Le livre qu’il appelle aujourd’hui Mes Convictions ressemble, à s’y méprendre, à ses précédens ouvrages, et on pourrait dire que ses vers ont une certaine monotonie sonore qui n’est point absolument de la poésie. Il y a certainement dans les vers de M. Ducamp une facture habile, un assemblage de mots brillans et magiques. Que manque-t-il donc? C’est une pensée précise. Il en résulte que les meilleurs fragmens de l’auteur sont ceux où il exprime quelque rêverie intime, quelque sentiment naturel du cœur, et les morceaux les moins attachans sont ceux où il traduit en strophes ses idées sur la transformation morale, religieuse et sociale du monde. Le monde se transforme, oui sans doute : c’est un fait qui éclate à tous les regards; mais quelles que soient les prochaines destinées de ce monde, il faut bien savoir, si l’on veut travailler à sa grandeur morale, que la chimère n’est point la nouveauté, que l’abandon de toutes les traditions n’est point le progrès, et que l’assemblage de tous les systèmes conçus par des imaginations plus ardentes que justes ne constitue pas un symbole bien clair pour l’humanité et bien fait pour fortifier les âmes. M. Maxime Ducamp croit sans doute que là sont la vérité et la vie; c’est l’erreur de son esprit, et son talent s’égare dans cette poursuite impuissante d’un idéal chimérique, lorsqu’il pourrait s’élever et trouver des inspirations heureuses dans une voie plus simple et plus juste.

Et maintenant si nous revenons à la politique, voulez-vous remarquer un fait curieux? Tandis que la question de l’alliance de l’Angleterre et de la France se retrouve au fond de tous les débats récens qui ont eu lieu à Londres, cette alliance se manifeste par des œuvres à l’extrémité orientale du monde, en Chine, où les forces des deux pays viennent de prendre ensemble