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du Hanovre 10,000 soldats, ayant bien soin de les mettre au compte du budget anglais, à la grande stupéfaction de ceux qui savaient que lorsque le roi d’Angleterre prêtait ses soldats à l’électeur de Hanovre, le Hanovre ne payait rien. Bubb Doddington lui-même, — celui dont Walpole a si justement flétri les apostasies politiques[1], — observant ironiquement à ce sujet que « sa majesté, pour rien au monde, ne se prêterait un farthing. »

De plus, la Russie est à la solde de l’Angleterre. Moyennant 500,000 livres sterling par an, — et par parenthèse on en demanderait bien dix fois autant aujourd’hui, — l’impératrice promet une diversion contre l’Autriche : 55,000 hommes, dont 15,000 cavaliers, marcheront aux frontières de Lithuanie, et quarante ou cinquante galères, tenues prêtes dans les ports russes, prendront la mer au premier signal.

Voici la guerre déclarée (22 mai 1756). Elle a déjà sévi et sur mer et en Amérique, où George Washington, à la tête de quelques milices locales, est allé compromettre sa naissante renommée en combattant sans succès pour l’Angleterre et contre la France. Elle va s’allumer dans l’Inde, où Dupleix, à l’apogée de sa puissance, passe pour vouloir s’attribuer une royauté indépendante, et où Clive, alors simple capitaine, va prendre le commandement du fort Saint-David. Insuffisant pour les difficultés de la grande crise qui se développe, l’inepte Newcastle, abandonné par son collègue Fox, essaie en vain de lutter contre l’antagonisme passionné de Pitt. William Murray, l’attorney général, était le seul orateur en état de défendre le ministère. Pour le retenir à la chambre des communes, d’où allait le faire sortir son avancement comme magistrat, il faut voir quelles conditions lui fait le chef du cabinet. En désespoir de cause, il lui offrait 6,000 livres sterling de pension viagère pour l’engager à rester au parlement un mois de plus, jusqu’après la discussion de l’adresse. Murray, honteux lui-même de tant d’extravagance, répondit par un refus dédaigneux, et le ministère tomba. Le duc de Devonshire et Pitt arrivèrent au pouvoir.

En France pourtant que voyons-nous? ou pour mieux dire, qu’y voit un Anglais de notre temps, étudiant la France de 1756? — Tout d’abord la grande lutte de la couronne et du clergé à propos de la bulle Unigenitus : les prêtres refusant les sacremens aux fils désobéissans du saint-père; le roi envoyant, sous l’escorte de quatre mousquetaires, Mgr de Paris dans sa villa de Conflans; puis les exactions des fermiers-généraux, objets de l’exécration publique, gorgés de richesses, de mépris, et menacés de la chambre ardente; puis encore, comme échantillon de la noblesse, les exploits du marquis de Plomartin, qui traitait si lestement ses créanciers : « Il en emmena six dans son château, les fit attacher à la queue de ses chevaux et traîner ainsi dans un étang, après quoi il les mit sécher, liés à des pieux, auprès d’un grand feu devant lequel trois d’entre eux moururent, et les trois autres quelques jours plus tard. » Après ceci, et quelques gens du roi mis à mort, Plomartin s’était enfui du royaume, où il rentra fort imprudemment au bout de quelques années, croyant tout assoupi. Un beau jour, trois cents hommes l’allèrent prendre à l’improviste dans son repaire et l’amenèrent à Poitiers. Une commission et le bourreau firent le reste.

  1. « That so often repatrioted and reprostituded prostitute. »