Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa flotte tout un vaste palais en bois et en verre, qui, ajusté et déployé hors du château de Guines, fut intérieurement recouvert en étoffes de velours et de soie ou orné avec les belles tapisseries d’Arras. Enfermé pendant la nuit dans le fort château de Guines, Henri VIII devait pendant le jour habiter cet élégant palais pour y recevoir et y fêter la cour de France[1].

De son côté, François Ier, heureux de la rencontre dont il attendait la consolidation d’une amitié qui ne lui laissait craindre, comme il le disait[2], aucun prince sur le continent et le rendait certain de réussir dans ce qu’il projetait d’entreprendre, s’était transporté jusqu’au château d’Ardres. Il y était venu en compagnie de la reine Claude sa femme, de la duchesse d’Angoulême sa mère, de la duchesse d’Alençon sa sœur, formant avec lui, par l’accord intime des idées et des sentimens, cette trinité spirituelle que chantaient les poètes[3] et à laquelle se recommandaient les ambassadeurs[4]. Il amenait quatre cardinaux, tous les princes de sa famille, le fier connétable de Bourbon, resté souverain féodal de plusieurs provinces du centre de la France, l’amiral Bonnivet, depuis longtemps son favori et alors le conducteur principal de ses affaires, le chancelier Du Prat, les divers officiers de sa couronne, les plus grands seigneurs du royaume, et même un certain nombre de gentilshommes qui, pour figurer dans cette entrevue fastueuse, avaient vendu leurs forêts, leurs moulins, leurs prés, qu’ils portaient, selon l’expression de Du Bellay, sur leurs épaules[5]. Il avait fait dresser en dehors de la ville d’Ardres, et non loin d’un petit cours d’eau, plus de trois cents pavillons couverts de toiles d’or et d’argent, tendus de velours et de soie, et sur lesquels étaient déployées les armes de France ou

  1. Voyez sur l’entrevue du camp du Drap-d’Or : L’Ordre de l’entrevue et visitation des rois de France et d’Angleterre, dans Montfaucon, Monumens de la Monarchie française, t. IV, fol. 164 à 180 ; — Chronique de Hall, greffier de Londres, que Henri VIII chargea d’en être l’historiographe ; — Mémoires de Fleurange, qui y assistait et y commandait les cent-suisses de la garde de François Ier, t. XVI de la collection de Petitot, p. 345 à 353 ; — Mémoires de Martin Du Bellay, ibid., t. XVII, p. 283 et suiv.
  2. Lettre de Thomas Boleyn à Wolsey du 16 novembre 1519, dans Bréquigny, vol. 87.
  3. Rondeau de Cl. Marot, p. 274 du tome V de ses œuvres, édit. de 1731. Marguerite, dans une épître au roi, dit :

    Ce m’est tel bien de sentir l’amytié
    Que Dieu a mise en nostre trinité.

    Poésies du roi François Ier, publiées par M. Aimé Champollion-Figeac, grand in-4o, 1847, p. 80.

  4. Lettres du cardinal de Bibiena du 18 au 29 avril 1520, etc., dans Béthune, volume 8489, fol. 27, 58. Ainsi, en écrivant de Rome à la duchesse d’Angoulême, le cardinal lui dit que sa lettre est « per rinfrescar nella memoria sua la grandissima servitù, observantia et devotioa mia verso la trinita laqual priego dio che prosperi, etc. »
  5. Martin Du Bellay, t. XVII, p. 285.