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avec hauteur les supplications du glorieux vieillard[1], qui, blessé de cet affront et indigné de cette injustice, succomba peu de temps après, en laissant François Ier privé de son habileté. Elle lui avait été naguère utile et lui serait bientôt devenue nécessaire.

Déjà la possession de la Lombardie passait pour être ébranlée. Un jeu de mots très significatif se répétait à la cour même de France. Rappelant la splendide habitation de Meillan, construite en Bourbonnais par Chaumont d’Amboise avec l’argent tiré du Milanais, dont il avait été gouverneur, et prévoyant les inévitables effets de la faveur que Catherine de Foix assurait à Lautrec, on y disait : « Milan a fait Meillan, et Châteaubriant défera Milan[2]. » Tout le monde le croyait, excepté François Ier, qui tenait avec passion à conserver cette conquête, et qui laissait faire à Lautrec tout ce qu’il fallait pour la perdre. Pendant cinq années en effet, le cupide et dur Lautrec, par les charges qu’il imposa au peuple, par les violences dont il poursuivit les grandes familles, rendit le mécontentement général[3]. Beaucoup s’expatrièrent, et tous aspirèrent au retour des Sforza. Au dedans, les opprimés étaient prêts à les recevoir; du dehors, les fugitifs travaillaient à les rétablir. Ceux-ci s’entendirent d’abord avec Léon X, qui était encore l’allié de François Ier, et avec Charles-Quint, qui venait de se déclarer son ennemi, pour faire rentrer François Sforza dans Milan et Jérôme Adorno dans Gènes[4].

Par suite de l’accord établi entre le pape, l’empereur, les expatriés lombards et génois, une double entreprise fut ourdie contre la domination française dans la vallée du Pô et sur le revers de l’Apennin[5]. Des navires napolitains et pontificaux, portant deux mille Espagnols et montés par Jérôme Adorno, firent voile vers Gênes,

  1. Voyez, dans les Lettere di Principi, tout ce que raconte à ce sujet le cardinal de Bibiena dans ses dépêches à la cour de Rome.
  2. Le cardinal de Bibiena, dans sa lettre du 26 novembre 1518 écrite de Paris au cardinal Jules de Médicis, dit : « Disse che, se Milano haveva fatto Moian (Meillan), forse Ciateau Brian disfaria Milan; volendo inferire che Lotrec haveva favore per conto della sorella... La detta sorella di Lotrec è madama di Ciateau Brian. » Lettere di Principi, t. Ier, p. 52, V°. — « La sorella madama di Chateaubriand bella e accorta, molto amata dal re gli procura favore. » Cod. DCCCLXXVII, ch. VII à la Marciana, cité par S. Romanin, p. 325 du Ve vol. de sa Storia documentata di Venezia, in-8o. Venezia, 1857.
  3. Verri, t. II, p. 177, sqq.
  4. Guicciardini, lib. XIV.
  5. Guichardin, qui était gouverneur des villes récemment annexées à l’état pontifical, et qui a connu tous les secrets de la politique de Léon X, a raconté avec détail tous les événemens de cette guerre dans laquelle il a été acteur ou dont il a été témoin. Il dit : « Fatta adunque ma occultatissimamente la confederazione tra il pontifice e Cesare contro al re di Francia, fu consiglio comune procedere innauzi che manifestamente si movessero le armi... per mezzo dei fuorusciti contro al ducato di Milano, e contro a Genova. » Guicciardini, lib. XIV. — Du Bellay, t. XVII, p. 333.