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— Monsieur, dit-il, vous n’entrerez pas.

Ce mot ébranla le flegme de l’Anglais, et il se mit dans la pose du boxeur. Dick l’imita, et ils allaient en venir aux mains, lorsqu’une jeune fille de couleur parut.

— Eh bien ! Dick, pourquoi barrez-vous le passage à ce gentleman ?

— Parce qu’il n’a pas voulu répondre à mes questions et qu’il m’a menacé de me battre.

— Laissez-le passer, Dick ; c’est miss Alvarez qui le veut.

Le mulâtre céda la place en grognant. Cette scène pourra paraître incroyable à ceux qui ne connaissent pas la familiarité des nègres avec leurs maîtres aux États-Unis. Cette familiarité est la plus grande compensation de l’esclavage.

Miss Alvarez reçut John Lewis dans le salon, partagé en deux par une demi-cloison, qui fait partie de la plupart des maisons comfortables des États-Unis. Elle était assise devant son piano et jouait une symphonie de Haydn. John s’avança en saluant avec un certain embarras.

— Quoi ! c’est vous, monsieur ! dit-elle avec une feinte surprise. Quel bon vent vous amène ?

— Le désir de vous voir, miss Alvarez, et de vous parler de choses qui intéressent votre bonheur.

— Asseyez-vous, monsieur, et dites-moi ces choses si intéressantes. Je meurs d’impatience de vous entendre.

— Miss Alvarez, dit l’Anglais d’un ton grave, êtes-vous heureuse ?

— Assurément, monsieur, dit-elle en riant. Je suis jeune, je suis riche, je me porte bien, j’ai des amis que j’aime et dont je suis aimée. Que peut-on désirer de plus ?

— Vous n’avez pas de peines secrètes ?

— Pourquoi faire ? Cela est bon pour les femmes nerveuses et phthisiques, qui tourmentent leurs maris de leur mauvaise humeur, qu’elles appellent poésie incomprise. Je ne suis pas si savante, et quand je suis heureuse, je remercie la Providence, et je ne lui demande que de me garder sa protection.

— Quoi ! votre cœur est toujours content, et votre conscience toujours tranquille ?

— Toujours. Mes peines de cœur durent cinq minutes, — juste le temps de faire appeler M. L’abbé Bodini et de les lui confier. C’est le meilleur homme du monde et le plus gai. Il est toujours pourvu de petites recettes qui guérissent radicalement toutes les douleurs du corps et de l’esprit.

— Oui, les prêtres papistes ont des secrets merveilleux pour séduire l’esprit des femmes crédules.

— Je vous remercie, monsieur, du compliment. L’abbé Bodini