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XI. — MOUSQUETADES.


Pendant ce temps, les trois amis galopaient sur la route de Sugar-Maple ; c’est le nom de la ferme de Craig. La voiture roulait dans des chemins affreux, sur des troncs d’arbres mal équarris, et tombait à tout moment dans des fondrières. Il ne manque pas de chemins pareils au Kentucky, surtout dans les forêts. On a plus tôt fait d’abattre un arbre, de le scier en planches et de l’étendre sur la route que de faire un pavé régulier. D’ailleurs la pierre est rare dans cet état, le plus fertile peut-être de l’Union.

Enfin le jour parut, et un soleil magnifique éclaira la cime des chênes et des érables. À neuf heures du matin, on aperçut la fumée du toit de Craig. Jeremiah, qui conduisait la voiture, fit halte.

— N’allons pas plus loin, dit-il. Il faut d’abord s’informer des forces et des dispositions de l’ennemi.

Acacia mit pied à terre.

— Restez ici, dit-il, et gardez les chevaux. Je vais revenir. Si vous entendez quelque coup de feu, montrez-vous et venez à moi.

Il se glissa sans être aperçu jusqu’à cinquante pas de la maison. Une barrière très élevée entourait de toutes parts la maison et le jardin de Craig. Acacia sauta par-dessus la barrière, et se trouva dans le jardin. Là, un obstacle se présenta, qu’il n’avait pas prévu. Deux chiens énormes, dressés à chasser les nègres, gardaient l’entrée de la maison. À la vue d’Acacia, ils s’élancèrent sur lui. D’un coup de revolver, le lingot cassa la mâchoire au premier, qui s’enfuit en hurlant ; un autre coup de pistolet tua raide le second.

À ce bruit, amis et ennemis accoururent. Craig et Appleton, qui déjeunaient tranquillement, se levèrent de table et prirent leurs armes.

— Eh bien ! Appleton, dit Craig, masse informe de chair, taureau, brute sans intelligence et sans cœur, voilà l’ennemi. Tu vas recevoir le prix de tes tergiversations.

— Parbleu ! dit le géant, qui que ce soit, je l’assomme.

Au même instant, Acacia parut à l’entrée du vestibule. Appleton et Craig tirèrent à la fois sur lui, sans l’atteindre. Il tira à son tour, et blessa Appleton. Celui-ci fit une seconde décharge, aussi précipitée et aussi mal dirigée que la première. Le Français riposta encore, mais sans succès. Le revolver n’est pas une arme aussi meurtrière qu’on pourrait le croire. Les Américains tirent trop vite et visent trop peu pour se faire beaucoup de mal, même à une courte distance.

— Bon ! dit Jeremiah, voilà ce fou d’Acacia qui va se faire tuer.