Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cessé d’être invincibles. Là, pour la première fois, il avait rencontré le seul obstacle dont une nombreuse et brave armée et le génie d’un grand capitaine ne soient pas assurés de triompher à la longue : la résistance d’un peuple unanimement soulevé pour défendre son indépendance. L’Angleterre, en s’associant à cette résistance, en la régularisant, en lui fournissant les ressources qu’elle n’eût pu se procurer par elle-même, avait trouvé un champ de bataille, un point d’appui contre son formidable ennemi. Jusqu’au moment où Napoléon s’était si malencontreusement engagé dans la conquête de la Péninsule, il avait dépendu de lui de faire avec le cabinet de Londres une paix qui n’eût exigé de la part de la France aucun sacrifice, même d’amour-propre. Maintenant, pour arriver à cette paix, il fallait, ou terminer la conquête des deux royaumes péninsulaires, entreprise bien difficile, d’un succès déjà problématique, et qui eût coûté en tout cas beaucoup de temps et de sang, ou abandonner ces deux royaumes, détrôner de sa propre main le roi qu’on avait établi à Madrid, reconnaître ainsi qu’on s’était trompé, et renoncer à être considéré comme invincible à la guerre et comme infaillible dans la politique, c’est-à-dire renoncer au prestige dans lequel Napoléon puisait sa force principale. L’alternative était terrible. Napoléon cependant, forcé désormais de diriger du côté du midi une portion considérable de ses innombrables armées, pouvait craindre à chaque instant de se voir assailli du côté du nord par les puissances qu’il avait vaincues, mais auxquelles il avait fait un sort trop dur pour qu’elles pussent s’y résigner bien longtemps, pour qu’elles ne saisissent pas la première occasion de secouer le joug. Déjà, pendant la première et seule campagne qu’il eût faite de sa personne en Espagne, il avait vu l’Autriche l’attaquer à l’improviste; il avait vu l’armée et la nation autrichiennes, enflammées pour la première fois d’un véritable enthousiasme, porter dans cette agression une vigueur d’initiative moins commune chez elles que l’énergie de la résistance, et balancer un moment la fortune; il avait vu l’Allemagne, tout électrisée, prête à se soulever contre ses oppresseurs pour peu que le sort des armes eût été douteux un instant de plus, et le feu de l’insurrection éclatant déjà dans plusieurs de ses provinces, où la prudence timide des gouvernemens ne suffisait plus à réprimer le patriotisme impatient des peuples. Pendant quelques jours, quelques semaines, la puissance française avait été en péril. La victoire de Wagram, la paix de Schoenbrunn avaient couvert tout cela; mais le côté faible du conquérant avait été mis à jour. Il était évident qu’au nord comme au midi de l’Europe, dans les populations comme parmi les princes, il ne comptait que des ennemis contenus seulement par la terreur, et qui éclateraient dès que cette terreur serait un peu affaiblie. C’était certes le mo-