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a supposé que le ressentiment de la réprimande sévère de Napoléon a pu affaiblir le dévouement avec lequel il l’avait servi jusqu’alors. Marmont devait avoir encore un jour héroïque, le plus héroïque peut-être de toute sa carrière. Ce fut celui où, chargé de la défense de Paris avec son faible corps et celui du maréchal Mortier pendant que l’empereur était retenu au loin par une tentative hasardée où il avait placé l’espérance de son salut et qui devait le perdre, on vit le duc de Raguse soutenir pendant douze heures une lutte désespérée contre la grande armée alliée, dont les forces étaient hors de toute proportion avec les siennes, faire tout à la fois l’office de général et celui de soldat, et n’abandonner le terrain qu’au moment où il ne lui était plus possible de continuer à combattre sans exposer la capitale de la France à être prise d’assaut. Si, alors qu’à la tête de cinquante grenadiers il chassait de Belleville une colonne ennemie qui y avait pénétré, une balle eût mis fin à ses jours, son nom serait resté inscrit parmi ceux des plus glorieux martyrs de la patrie. Les odieux calculs de l’esprit de parti agissant sur la crédulité des passions populaires et sur la vanité nationale ont pu seuls accréditer pendant quelque temps dans le vulgaire la croyance qu’en signant la capitulation de Paris, il avait commis un acte de trahison.


III.

Malheureusement ce jour si glorieux pour Marmont devait être suivi de bien près de celui qui a fait la fatalité de son existence, et dont le souvenir a rempli d’amertume le reste de sa vie. C’était le 30 mars qu’il avait livré la bataille de Paris; le 4 avril, replacé sous les ordres directs de Napoléon, dont il commandait l’avant-garde à Essonne, il prenait avec le prince de Schwarzenberg, généralissime des alliés, des arrangemens par lesquels il se séparait de son souverain, de son général, de son ancien ami, reconnaissait le gouvernement provisoire proclamé par le sénat sous l’influence de l’empereur Alexandre, et s’engageait, avec ses troupes, à ne plus combattre la coalition.

Si, au lieu de prétendre justifier un tel acte, Marmont et ses apologistes s’étaient contentés d’essayer de l’excuser et d’en atténuer le caractère odieux en rappelant l’entraînement presque universel qui poussait alors la France à se détacher du régime impérial, la lassitude des esprits et des plus fermes courages, l’affaiblissement général du sentiment patriotique usé en quelque sorte par la fatigue et la souffrance, le grand nombre d’hommes justement estimés et considérables par leur position qui, dans Paris, s’étaient déjà ralliés au gouvernement provisoire, les invitations pressantes que plu-