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sieurs d’entre eux avaient fait parvenir au maréchal, la démarche même que les autres maréchaux faisaient en ce moment auprès de Napoléon pour le contraindre à abdiquer, — il serait certes de toute justice de tenir grand compte de ces circonstances dans l’appréciation de la conduite du duc de Raguse. On devrait le plaindre de s’être trouvé placé dans une position qui, l’isolant de ses compagnons d’armes, donna de sa part le caractère d’une défection personnelle et préméditée à ce qui, pour les autres, se confondit avec un entraînement général. Le maréchal toutefois avait trop d’orgueil pour se contenter de cette appréciation indulgente autant qu’équitable. Il ne lui suffisait pas d’être excusé, il a voulu être pleinement justifié, presque glorifié pour le fait même que l’opinion publique avait jugé avec une sévérité exagérée. Et comme l’orgueil est un mauvais conseiller, comme il égare les esprits les plus fins et même parfois les plus justes (ce que n’était pas toujours celui de Marmont), il lui a inspiré un système d’apologie bien maladroit, qui, déjà produit à plusieurs reprises par ses amis, est exposé dans ses Mémoires avec des développemens dont l’abondance ne le rend pas plus péremptoire, ni même plus spécieux.

En quoi consiste en effet ce système, dégagé des divagations et des déclamations qui l’accompagnent? Je vais le résumer en peu de mots. Au moment où Napoléon, pressé par les autres maréchaux, se décida à négocier avec les alliés sur son abdication, Marmont n’avait pas encore conclu avec le prince de Schwarzenberg la convention par laquelle il devait séparer ses troupes de l’armée impériale; les bases en étaient seulement arrêtées, les paroles engagées. Sur ces entrefaites, Marmont, apprenant que Napoléon avait signé son abdication, invité par les maréchaux Ney, Macdonald et par le duc de Vicence à se joindre à eux pour aller négocier à Paris avec les alliés le traité qui devait en être la conséquence, demanda au prince de Schwarzenberg et obtint que l’exécution des engagemens dont ils étaient déjà convenus serait suspendue pendant cette négociation, et en partant pour Paris avec les autres plénipotentiaires français, il enjoignit à ses généraux de division d’ajourner jusqu’à nouvel ordre le mouvement qui devait les faire passer en quelque sorte dans les rangs ennemis. Ce ne fut qu’après son départ que ces généraux, se persuadant, par l’effet d’un malentendu, que l’empereur était informé de ce projet de désertion et redoutant les effets de son ressentiment, prirent sur eux de hâter l’exécution du mouvement. Marmont n’eut donc aucune part à leur détermination, qui fut prise malgré ses recommandations expresses; il la regretta vivement parce qu’elle était de nature à exercer une influence fâcheuse sur l’issue de la négociation entamée à Paris. Apprenant cependant