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nadiers, lui écrivit-il, je croirais encore mourir au champ d’honneur. » Le maréchal montra cette lettre au roi, qui eût voulu aussi sauver M. de Lavalette, mais qui, intimidé par les démonstrations de la chambre introuvable, ne lui dissimula pas la nécessité où il croyait être de se refuser même à cet adoucissement. Marmont ne se découragea pas. Mme de Lavalette lui ayant parlé d’un plan d’évasion, il l’engagea à ne pas y recourir encore et à tâcher de pénétrer jusqu’auprès du roi et de Madame pour émouvoir leur pitié. La chose n’était pas facile. Depuis qu’il avait été résolu que la grâce ne serait pas accordée au condamné, les consignes les plus sévères avaient été données pour interdire à sa femme l’entrée des Tuileries. Le maréchal se chargea de lever cet obstacle. Abusant noblement de l’ascendant que lui donnaient sur les militaires de service au château sa dignité et son emploi, il alla recevoir à la porte du palais Mme de Lavalette, que lui amena le général Foy, et malgré les représentations d’un factionnaire, malgré celles d’un officier des gardes, qui n’osèrent résister à l’insistance d’un maréchal de France, il l’introduisit dans une salle que le roi et la famille royale devaient traverser en revenant de la messe. Le roi, en apercevant Mme de Lavalette, parut d’abord vouloir s’arrêter; mais après un moment d’hésitation il continua à s’avancer, et, comme elle se jetait à ses pieds : « Madame, lui dit-il, je prends part à votre juste douleur; mais j’ai des devoirs à remplir. » Mme de Lavalette, se tournant vers la duchesse d’Angoulême, voulut aussi se précipiter à ses genoux, lorsque Madame s’éloigna brusquement. Le lendemain était le jour de naissance de cette princesse. Le duc de Raguse fit encore une tentative pour que Mme de Lavalette se trouvât sur son passage au moment où elle se rendrait chez le roi; les précautions multipliées qu’on avait prises le forcèrent cette fois à y renoncer, et il dut faire comprendre à cette femme infortunée qu’il était temps de donner suite au projet d’évasion dont elle l’avait entretenu. On sait quel en fut le succès.

Il faut avoir présente à l’esprit la violence des passions politiques qui régnaient alors dans les rangs les plus élevés de la société, dans le monde même où vivait le maréchal, pour apprécier la conduite qu’il tint en cette circonstance et pour lui tenir suffisamment compte de la générosité, du courage moral dont il fit preuve. On exagérerait à peine la vérité en disant que pendant quelque temps, à la cour, dans les salons du faubourg Saint-Germain, son nom ne fut plus prononcé qu’avec une fureur presque égale à celle que soulevait le nom de l’homme qu’il avait voulu sauver. La violation de consigne qu’il s’était permise était présentée comme une trahison digne des plus graves châtimens. Le roi ne partagea pas ces emportemens. Ayant fait appeler le duc de Raguse dans son cabinet, il lui exprima, il est vrai, son mécontentement d’une désobéissance aussi