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au milieu du siècle dernier étaient hors d’état de refouler un courant même médiocre, ou de s’élever au vent par une brise un peu fraîche, de manière à pouvoir doubler un de ces dangers sur lesquels on vient de voir qu’il leur était si facile de se trouver amenés à leur insu. Du reste, rien ne fera mieux ressortir cette infériorité que la comparaison des vitesses de sillage de cette époque et de la nôtre. Le nœud, au moyen duquel on mesure le chemin parcouru par un vaisseau, correspond à la minute de l’équateur, c’est-à-dire à 1,852 mètres, ou au mille marin. Or aujourd’hui un navire de marche médiocre, placé dans des circonstances favorables de vent et d’allure, doit filer au moins 8 nœuds par heure ; un bon navire dans les mêmes conditions filera 10, 11, et même quelquefois 12 nœuds ; je ne parle pas ici des vitesses exceptionnelles, et peut-être discutables, de certains clippers que l’on prétend avoir atteint 15, 16 et même 17 nœuds. En présence de ces chiffres, on est presque tenté de récuser les témoignages que nous ont transmis les marins du xviiie siècle, et pourtant tous s’accordent à indiquer que dans les convois de navires marchands, alors si fréquens sur mer, une vitesse de 4 nœuds était considérée comme très satisfaisante ! On voit un spécimen de ce genre de traversée dans le journal de bord[1] d’un bâtiment de commerce anglais, la Celia, se rendant en 1740 de la Jamaïque à Bristol : pendant une traversée de cinquante-sept jours, l’on n’y trouve presque continuellement que des vitesses de 1, 2, 3 et 4 nœuds ; seuls, quelques lochs (sillages) rares et privilégiés atteignent 5 nœuds. Aussi les journées varient-elles de 50 à 60 milles, c’est-à-dire qu’elles sont presque toujours inférieures à 20 lieues marines. Les lourdes pataches, les coches antiques qui voituraient péniblement nos aïeux sur leurs routes fangeuses, eussent rougi d’une semblable allure. Et qu’ici encore l’on ne se figure pas que cet exemple est un cas particulier : la Celia était évidemment un navire au moins ordinaire, et peut-être même assez bon marcheur pour le temps, si nous en jugeons par l’accent de triomphe avec lequel son journal nous apprend qu’elle est de temps à autre en tête du convoi dont elle fait partie ; il est vrai qu’elle file alors à 4 nœuds ! Une seule fois sa vitesse s’élève à 6 nœuds, mais c’est par un véritable coup de vent dont elle nous transmet le détail.

Avec de semblables navires, les voyages de mer étaient nécessairement d’une longueur extrême, et c’est ainsi, pour continuer à choisir nos exemples à peu près vers la même époque, que nous voyons Warren Hastings, si célèbre par ses concussions et son procès, mettre, en 1769, dix mois à se rendre d’Angleterre aux Indes, traversée qui peut prendre aujourd’hui de trois à quatre mois. Il

  1. Cité par Maury dans ses Sailing Directions.