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échappait. L’âme, voilà ce que M. Cousin voulut réhabiliter ; voilà la noble cause dont il fit choix, et au profit de laquelle il dépensa tant de véritable éloquence et d’inépuisables ressources d’esprit.

Dans cette réaction contre le matérialisme superficiel de l’école dominante n’alla-t-il pas trop loin ? Beaucoup le pensent, mais tel n’est pas mon avis. Sa doctrine, selon moi, a besoin, non d’être restreinte, mais d’être expliquée. Elle est vraie dans son ensemble, quoique certaines parties laissent désirer plus de précision scientifique. Oui, certes, le spiritualisme est le vrai. La noblesse et la véritable existence n’apparaissent dans le monde qu’avec l’âme. L’individu conscient et moral est le couronnement de l’édifice entier de l’univers ; tout est en vue de lui, et lui seul donne à tout un sens et une valeur. L’âme est la première des réalités et la seule pleine réalité, puisque la matière n’est qu’un agrégat multiple, séparable, sans unité, un agrégat fortuit qui se fait et se défait, qui n’a nulle identité permanente, nulle individualité, nulle liberté. L’âme est immortelle, car, échappant aux conditions serviles de la matière, elle atteint l’infini, elle sort de l’espace et du temps, elle entre dans le domaine de l’idée pure, dans le monde de la vérité, de la bonté, de la beauté, où il n’y a plus de limites ni de fin. Elle est libre et souveraine, car, dominant le corps qui la porte et ses instincts inférieurs, elle se crée une royauté sans bornes par la culture de sa raison et le perfectionnement de sa moralité. Elle est de race divine, car, dépassant la planète à laquelle elle est liée sous le rapport de l’espace, elle atteint la région de l’absolu et sonde l’univers. En un sens, on pourrait dire qu’elle crée Dieu, puisqu’elle seule en dévoile la nécessité, puisque Dieu, obscurément révélé par la nature, ne devint clair que le jour où un homme vertueux succomba dans sa lutte pour la justice, où une conscience pure préféra la pudeur à la vie, où un être noble et bon contempla le ciel dans la sérénité de son cœur. Elle crée des récompenses infinies, puisqu’elle décerne la volupté suprême de bien faire ; elle crée des châtimens infinis, puisqu’à son tribunal, le seul qui compte, la bassesse et le mal ne rencontrent que le mépris.

Il faut donc approuver complètement M. Cousin d’avoir proclamé que l’âme est l’essence même et le tout de l’homme, puisque ce qui existe est évidemment ce qui est libre, conscient, indivisible et sans étendue : c’est l’âme qui est, et le corps qui paraît être. Mais comment l’âme entre-t-elle au nombre des réalités ? Quelle est son origine, car il est notoire qu’elle commence, le rêve d’existences antérieures ne pouvant trouver de place dans une théorie scientifique ? Toutes les origines sont humbles, et cette sorte d’humilité n’abaisse personne. Le fruit divin qui, une fois détaché de sa tige, semble n’avoir jamais