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un tiers par siècle. Si le cours des choses ne change pas, ces soixante-dix tribus auront cessé d’exister dans un espace de temps qu’il est facile de déterminer. Quant aux tribus des quatre états récemment incorporés, leur dépérissement est incomparablement plus rapide, si l’on en juge d’après celles qui sont établies dans l’Orégon. Le dénombrement fait par les ordres du congrès pendant ces dernières années, à mesure que l’Union américaine prenait possession de ce territoire, a prouvé que ces Indiens sont au nombre de 22,033. Or deux voyageurs aussi éclairés que dignes de foi, Lewis et Clark, qui visitaient ce pays en 1806, estimaient que la population rouge s’y élevait alors à 80,000 âmes. Ce serait donc une diminution de près des trois quarts dans l’espace de cinquante ans.

Cependant le gouvernement des États-Unis n’abandonne pas les restes de la nation qui a possédé seule, durant de longs siècles, tout le nouveau continent. Il a créé une grande administration qui s’occupe de leurs intérêts, et le budget spécial de ce service public s’est élevé, en 1851, à 2,420,722 dollars (13,110,313 francs). Cette somme est consacrée tout entière au soutien et à l’amélioration morale de 420,000 Indiens, c’est-à-dire de 84,000 familles, en comptant 5 personnes par feu. Elle donne donc un dividende annuel de 166 francs par groupe de 5 personnes. Du reste, une grande partie de cet argent représente les annuités redues pour des cessions de territoire. Plusieurs de ces tribus ont vendu, à diverses époques, au gouvernement des États-Unis et lui vendent encore de temps à autre certaines parties des vastes contrées où elles chassaient jadis. Ces contrats de vente sont au nombre de cent six depuis 1795 jusqu’à 1840. On y voit indiqués exactement, non-seulement les prix, les bornes et les étendues des terres cédées, mais les réserves et les stipulations détaillées des cessionnaires. Pourquoi maintenant, malgré ses rapports naturels et officiels avec une nation policée, la population indienne dépérit-elle, se fond-elle, pour ainsi dire, au soleil de la civilisation ? Nous avons déjà exposé l’opinion qui s’appuie sur ces faits pour condamner sans retour la race indienne. Il faudrait rechercher maintenant s’il existe quelque chance de salut pour ces restes d’un peuple qui couvrait, il y a trois siècles, une partie considérable du globe. Qu’on examine les origines, les idées, le caractère et les mœurs des Indiens : la question sera bien près d’être résolue.


I. — ORIGINE DES TRIBUS INDIENNES. — PREMIERES EMIGRATIONS.

Le continent que nous appelons nouveau renferme dans son sein des ruines qui portent le cachet d’une haute antiquité. Les nations qui l’habitaient quand il fut découvert par Christophe Colomb se distinguent des autres grandes familles humaines par tant de différences physiques ou morales, qu’on voit bien que leur séquestration avait duré de longs siècles. D’où étaient sortis ces hommes ? Aucun des plus anciens écrits ne parle d’eux. On dirait que ces branches de l’humanité s’étaient détachées de leur tronc avant la naissance de l’histoire. La plupart des vieilles traditions qui se conservent en ce pays sont peu propres à dissiper cette obscurité.