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la rapine et la soif du sang. Du reste, il est difficile de comprendre comment ils peuvent vivre au milieu de ces entassemens de rochers volcaniques qui sont couverts de neige pendant six mois de l’année et calcinés par le soleil pendant les six autres mois. Les habitans de ces contrées désolées n’ont en quelque sorte plus rien d’humain. Ils ne ressentent pas plus de rancune pour les offenses que de gratitude pour les bienfaits. Une bande d’entre eux, dénuée de tout moyen de subsistance, vint mendier au Fort-Hall, où se trouvaient un poste d’une trentaine de militaires et autant de trafiquans qui faisaient le commerce des fourrures. Deux de ces négocians, originaires de Philadelphie, avaient été fort généreux pour sept ou huit de ces Indiens affamés, et ils les avaient nourris pendant tout l’hiver. Au printemps, ils les emmenèrent avec eux, et s’engagèrent dans les montagnes, afin d’aller prendre des animaux sauvages. À peine ces Indiens se virent-ils loin du fort, qu’ils tuèrent leurs bienfaiteurs de propos délibéré, froidement, pour s’approprier leur argent et leurs bagages.

D’où vient cet excès de barbarie qu’on rencontre chez les Shoshones ? C’est qu’ils ne possèdent rien, pas même des troupeaux ; ils ne vivent que de racines et de gibier. C’est l’absence de toute propriété qui les empêche de s’unir pour se donner des lois, et pourtant ils portent très loin l’instinct de la possession. À peine quelques-uns d’entre eux possèdent-ils des chevaux, qu’ils se coalisent pour se les garantir mutuellement et former une première ébauche de gouvernement.

En regard de ces tribus anarchiques, il est juste de placer les Iroquois. Ceux-ci n’avaient pas attendu l’arrivée des Européens pour entrer dans la voie de la civilisation. Établis autour des grands lacs, dans des terres fertiles, où ils cultivaient le maïs, ils avaient formé la ligue des cinq nations, confédération si forte, qu’elle a résisté aux secousses qui ont tant de fois, depuis trois cents ans, bouleversé cette partie du monde. L’historien Clinton a cru remarquer que cette association avait beaucoup de ressemblance avec le conseil des amphictyons. Le savant Charlevoix, entrant plus avant dans cette assertion, a même prétendu retrouver, dans le dialecte de ce peuple, un grand nombre de mots dérivés du grec. Lorsque M. Henry Schoolcraft accueille de pareilles hypothèses, il me semble s’écarter de sa réserve, ordinairement si judicieuse. Il ne s’en éloigne pas moins quand il préfère la république des Iroquois aux puissans empires des caciques et des incas. Ce qui explique l’exagération de ces éloges, c’est que cette confédération avait une véritable analogie, par son caractère essentiellement démocratique, avec la confédération actuelle des États-Unis. On pourrait dire qu’elle en a été l’ébauche et le premier essai. En effet, c’était une coalition de plusieurs tribus qui, tout en gardant chacune son entière indépendance, se concertaient sur les affaires communes. Chaque canton envoyait ses représentans à l’assemblée générale. Si son opinion était différente de celle des autres, rien ne l’obligeait à se soumettre à la majorité. Même dans une question de guerre ou d’intérêt commun, tous les cantons, à l’exception d’un seul, étant du même avis, celui qui n’approuvait pas la résolution prise pouvait n’y pas concourir.

Ces peuples s’appelaient Onguehonwe, c’est-à-dire les hommes supérieurs.