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ici uniquement du hasard. Quarante noyaux de prune tiennent lieu de dés. Ils sont divisés en cinq séries de nombre égal. Les huit jetons du premier groupe ont chacun une face sculptée et l’autre unie ; les côtés sculptés représentent sur le premier et le deuxième noyau des aigles, sur le troisième et le quatrième des tortues, sur les quatre derniers des bisons. Le joueur qui commence la partie prend ces huit dés sur une raquette : il les agite et les verse sur le gazon. S’il obtient sur les faces supérieures, ou les deux aigles, ou un aigle et les deux tortues, ou les deux tortues et les quatre bisons, il a gagné. S’il ne peut montrer que des faces unies, il a perdu. Toutes les autres combinaisons, qui sont incomparablement plus nombreuses, rendent le coup nul, et dans ce dernier cas le joueur doit passer à la deuxième série de noyaux. Dans cette deuxième série, les chances de gain sont encore moins grandes, et si le joueur n’en rencontre pas une, il est rejeté à la troisième série. Celle-ci surpasse en calculs et en complications les deux précédentes, et le premier joueur est souvent rejeté d’une série à l’autre jusqu’à la cinquième, laquelle peut encore laisser toutes les chances indécises.

Si l’on songe que cette partie peut occuper simultanément douze personnes, et que par conséquent elle peut leur faire parcourir par douze voies différentes le labyrinthe de tant de combinaisons, on sera étonné que des hommes qui passent des saisons entières à poursuivre les bêtes fauves aient assez de patience pour s’assujettir à cet interminable ballottement de quarante dés et pour s’obstiner à épuiser des chances dont le hasard peut rendre les variations infinies. Et néanmoins, quelque compliqué que soit le jeu de noyaux, il l’est encore moins que plusieurs autres dont les descriptions demanderaient trop de temps. N’y a-t-il pas là comme une revanche de l’esprit sur les organes matériels ? Ces hommes ne cultivent aucun art, n’apprennent aucune science, ils n’exercent que leurs sens et leurs muscles. Cependant la nature les a doués d’une intelligence qui a besoin de déployer ses facultés et de s’appliquer à quelque chose. C’est là sa destinée il faut qu’elle se développe, qu’elle agisse, qu’elle se montre. Elle ne peut pas se résigner à faire la bête, comme dit Pascal, et, ne trouvant pas une part convenable dans les occupations sérieuses, elle se l’est faite dans les jeux et les passe-temps.

Les Indiens de l’Amérique du Nord ont d’autres amusemens, où se montrent surtout la force et l’agilité : tel est leur jeu de ballon, qui ressemble au jeu de barres. On voit parfois les habitans d’un canton défier au ballon ceux d’un autre canton et mettre pour enjeux, non-seulement des massues et des arcs richement décorés, mais des ballots de peaux de bison, des chevaux et la meilleure partie de leurs richesses. Le défi est solennellement porté ; la place du champ clos est discutée contradictoirement ; on tient compte de l’heure du jour, des rayons du soleil, de la direction du vent, des accidens du terrain. La défaite est considérée comme un déshonneur public, et la victoire est célébrée avec un enthousiasme qui rappelle les temps héroïques de la Grèce. Un autre exercice plus difficile à justifier, c’est la danse du chien. Ce jeu consiste à manger tout cru le foie de cet animal. Pour y prendre part, il faut s’être distingué par quelque prouesse. Il n’est pas moins essentiel, ce semble, d’être doué d’un bon estomac. On danse autour d’un chien suspendu, on en retire le foie et on l’avale avec force gambades. Cet exercice doit être indéfiniment